Claude-Florimond
Boizard de Pontau
Avant
d’entamer la présentation biographique, on peut d’ores et déjà
signaler qu’il est possible de trouver le patronyme de notre auteur
sous différentes orthographes selon les sources et les documents
consultés. Ainsi, Claude-Florimond Boizard de Pontau peut aussi être
orthographié « Ponteau » ou « Pontault ». Si
nous avons choisi la première graphie, c’est parce que le nom
« Pontau » est celui qui figure sur notre manuscrit. Ce
patronyme est également largement repris par les critiques.
Claude-Florimond
Boizard de Pontau est, ainsi, né à Rouen « vers la fin du
dix-septième siècle »1.
Il se fait connaître comme auteur en 1726 au Théâtre-Italien avec
le succès d’Arlequin
Atys2,
« une des seules pièces qu’il écrit seul »
3
nous dit Isabelle Degauque dans sa notice. En effet, les frères
Parfaict4
dénombre un total de sept pièces qui auraient été écrites
seulement par Pontau. Nous les avons regroupées dans le tableau qui
suit pour plus de clarté :
Figure
1 : Tableau regrouptant les pièces écrites par Pontau selon
les théâtres où elles ont été jouées.
Il
semble, en effet, que certaines des œuvres de Pontau aient connues
un certain engouement de la part du public comme cela semble être le
cas d’Arlequin
Atys ou
encore de L’Heure du Berger5.
Pour illustrer cette idée, mettons en parallèle de ce tableau les
informations que nous fournit Théodore Lebreton dans son ouvrage qui
sont davantage précises :
Les pièces que Boizard de Ponteau
fit sans collaborateurs sont : Atys,
parodie de l’opéra de ce nom ; L’Estaminette
Flamande,
ballet-pantomime ; L’Ecole
de Mars ou Le
Triomphe de Vénus,
ballet ; Le
Compliment,
prologue ; Le Hasard
; L’Œil du maître
[…] Il fit aussi représenter au Théâtre-Français, avec
Parmentier, Le Rival
secrétaire. Il
donna seul même théâtre et la même année L’Heure
du Berger, comédie
en un acte et en vers, pièce dont le succès fut de longue durée et
dans laquelle Mlle Dangeville, actrice célèbre de cette époque, se
fit beaucoup applaudir.6
Au regard de ces
informations, il semble surprenant que la plupart des pièces de
Pontau soient tombées dans l’oubli et qu’il n’y en ait que
très peu qui atteignent la consécration qu’est l’impression7.
D’autre part, ce tableau nous permet de constater que notre auteur
écrit davantage pour la Foire et, de fait, il y consacre toute sa
carrière en tant qu’ « entrepreneur du théâtre de la
Foire, où se jouait alors l’Opéra-Comique »8
de 1728 à 1732 puis de 1734 à mars 17439,
pour lequel l’auteur fait beaucoup :
Pontau marque considérablement
l’évolution de l’Opéra-Comique qu’il dirige. Il appelle de
nouveaux danseurs dont Nivelon et Sallé, de nouveaux décorateurs
dont le prestigieux Servandoni ; il recrute le joueur de musette
Charpentier ; il fait venir une troupe anglaise, avec La Meyne et
Roberti, pour donner des tours d’acrobaties pendant les entractes ;
il organise aussi des bals. Sous sa direction, l'Opéra-Comique
connaît de grands succès [...] Pontau sait promouvoir de nouveaux
auteurs comme Pannard, Boissy, Favart, Gallet, d’Allainval,
Laffichard. Mais les dettes s'accumulent à partir de 1738 ; saisi en
1743, il voit le privilège de l'Opéra-Comique passer à Jean Monet
[...]10
De fait, Maurice
Barthélémy écrit que « Pontau, en homme d’esprit et en
homme de théâtre, a aidé à cette évolution qui ouvrait
discrètement la voie à l’Opéra-Comique de la seconde moitié du
siècle »11.
Pontau a su s’entourer de nombreux auteurs tels que Lesage,
d’Orneval, Fuzelier et des auteurs plus jeunes tels que Pannard ou
Favart. Il n’a pas non plus « négligé pour satisfaire le
public […] On était alors très friands [à l’époque] de
divertissements scéniques, de ballets et de pantomimes. Il avait
donc engagé les plus célèbres représentant du genre […] »12.
Notons que l’on
trouve la mention faite de Pontau dans une lettre écrite par M.
Laffichard13
à Favart durant la seconde période où il est entrepreneur :
Je vous prie de lire cette pièce ;
je ne veux la présenter avant que vous m’en ayez dit votre
sentiment, vous connaîtrez aisément qu'elle est toute de moi. J’ai
laissé plusieurs quatrains sans les timbrer, me reposant sur votre
bon goût pour cela ; si par aventure ma pièce n’exigeait pas de
grandes corrections, vous me feriez plaisir de la communiquer à
notre ami Pontau, sinon vous auriez la bonté de me la remettre mardi
à la foire.14
Cette lettre
datant du 9 juillet 1741 met en exergue l’importance de Pontau en
tant qu’entrepreneur de l’Opéra-Comique à qui des dramaturges
transmettent leurs pièces. Elle fait également montre du rapport de
collaboration qui peut exister entre deux auteurs ; un rapport
qui est significatif dans le cas de Pontau. En effet, il est
également présent à la Foire en tant qu’auteur avec une
quarantaine de pièces écrites en collaboration. On peut avoir un
aperçu de ce goût pour le travail de groupe en recoupant les
informations que nous donnent les frères Parfaict dans leur
ouvrage15.
On a ainsi pu produire le graphique suivant qui met en exergue le
travail de collaboration de Pontau. La figure nous permet de
remarquer, dès à présent, la grande complicité entre Pontau et
Pannard. Elle met en évidence que si Pontau travaille avec plusieurs
auteurs, Pannard est toujours au nombre de ceux-là. En effet, si les
frères Parfaict ne notent que cinq pièces16
écrites ensemble, Isabelle Degauque souligne dans sa notice que
pendant 32 ans, ils donnent ensemble plus de vingt ouvrages.
Figure 2 : Graphique représentant les différentes collaborations de Pontau
selon les frères Parfaict.
Ce
graphique laisse apparaître très clairement que Pontau va parfois
jusqu’à travailler avec deux autres auteurs comme Pannard et
Favart avec Le Qu’en dira-t-on
(FSL, 1741) ou Pannard et Parmentier avec Alzirette17
(FSL, 1736) ; et même avec trois auteurs comme Pannard, Piron
et Gallet avec La Ramée et Dondon18
(FSL, 1734). Cet important travail de collaboration peut, sans doute,
s’expliquer par sa fonction d’entrepreneur qui lui permet d’être
un lien entre les différents auteurs.
Aussi regrettable
que cela puisse être, il n’y a que très peu d’informations sur
la fin de vie de Pontau. La date exacte de son décès nous est, par
exemple, inconnue. Il est, cependant, possible de resserrer l’étau
en se basant sur différentes sources. Dans leur dictionnaire, les
frères Parfaict écrivent au sujet de Pontau qu’il est un « auteur
encore vivant »19.
Leur ouvrage datant de 1756, on peut raisonnablement croire que
Pontau vit toujours et qu’il a environ une soixantaine d’années.
En jouant sur les différentes graphies du nom de notre auteur, on a
pu le retrouver mentionné sous le patronyme « Ponteau »
dans un ouvrage faisant état des pensions versées par le trésor
royal. Pour plus de clarté, nous avons extrait le passage qui
concerne notre auteur dans la figure qui suit :
Selon
ce document, Pontau aurait donc perçu la somme de 1000 livres en
guise de retraite en 1775. Pour la recevoir, il devait donc être
encore vivant en 1775, ce qui nous laisse à penser que Pontau est au
moins atteint l’âge de 75 ans. S’il est possible que le chiffre
« 95 » corresponde à l’âge de Pontau, nous ne pouvons
pas l’affirmer avec certitude. En effet, le volume 1 de L’Etat
nominatif des pensions, où l’on
trouve les clés de lecture des abréviations, est partiellement
effacé. Cependant, si cela est le cas, on peut en déduire que notre
auteur serait née en 1680. Il aurait eu, quoiqu’il en soit, une
vie relativement longue. D’autre part, ce document nous instruit
que Pontau ne s’est pas contenté de son activité théâtrale pour
subvenir à ses besoins. La lettre qui suit le chiffre « 95 »
est un « F » et signifie « Finance » selon
les données du premier volume21.
Si l’on suit ce document, Pontau aurait occupé le poste de
« contrôleur des vingtièmes de la Généralité de
Soissons ». La généralité de Soissons est une
circonscription administrative de Picardie créée en 1595, lorsque
le vingtième est « un impôt établi sur les biens-fonds, et
qui est la vingtième partie de leur revenu »22.
Cet impôt entre en vigueur le 19 mai 1749. La mention faite de
« longs services » nous laisse supposer que Pontau a
longtemps travaillé en tant qu’agent administratif et ce toujours
proche de la capitale.
Le
manuscrit
L’édition
de la pièce de Pontau, Le Hasard,
est établie à partir du manuscrit conservé à la Bibliothèque
nationale de France sous la cote f.fr 9338 (f° 165-186).
Représentations
et réceptions
La
pièce, Le Hasard,
a été représentée sur le théâtre de l’Opéra-comique de la
Foire Saint-Germain, le 3 février 1739. Au sujet de sa première
représentation, les frères Parfaict écrivent :
Le 3 février, les spectacles de la
Foire ouvrirent à leur ordinaire : celui de l’Opéra-Comique donna
la première représentation d’une pièce, d’un acte, de la
composition du sieur Pontau, ayant pour titre Le
Hasard. Elle était
précédée d’un prologue du même auteur [...] la Troupe Anglaise
[...] exécuta dans les entractes de nouveaux exercices […]23
Le site CESAR ne
fait pas état d’autres représentations, ce qui peut nous porter à
croire que la pièce n’a pas emporté d’engouement particulier.
Hypothèses
sur les acteurs
On
peut légitimement croire qu’étant entrepreneur de l’Opéra-Comique
lorsque sa pièce est représentée, c’est sur son théâtre et
donc avec ces acteurs et actrices que la pièce est jouée. On
trouvera, en annexe 11, un tableau représentant les membres
composant la troupe de Pontau lorsqu’il est entrepreneur de 1734 à
1743. Il nous permet de nous faire une idée, bien que vague, de la
possible distribution.
Argument
de la pièce
La
pièce s’ouvre sur un tête-à-tête entre le couple que forme le
Caprice et la Folie. Le premier informe son épouse que le dieu du
Hasard va tenir ces audiences en ce lieu et à cette heure. Les deux
époux s’étonnent d’abord du choix de l’Opéra-Comique mais
finissent par conclure qu’ « on trouve ici plus tôt
qu’ailleurs / De la marchandise hasardée », ils proclament
néanmoins leur amour pour l’Opéra-Comique (scène 1). Ayant
d’autres affaires « en bon train », la Folie quitte la
scène alors que le Hasard arrive. Celui-ci paraît de sombre humeur,
il informe le Caprice qu’il sort d’une « assemblée de la
faculté de médecine » où il a eu connaissance que « l’objet
de [ses] amours », Araminte, est malade et a demandé le
recours de tous les grands médecins. Il tient à voler à son
secours et charge donc le Caprice de tenir ses audiences à sa place.
Celui-ci accepte de bonnes grâces songeant à semer « dans
l’univers / Les bienfaits à tort, à travers » (scènes 2 et
3). La première « pratique » à se présenter est la
Mode, fille du Caprice et de la Folie. Elle vient « rendre un
sincère et tendre hommage » au Caprice, lui expliquant comment
elle a mis à bien les leçons qui lui ont été données (scène 4).
La Caprice se dit satisfait des actions de sa fille (scène 5) avant
de recevoir le Chevalier Lansquenet qui représente le jeu sous
toutes ses déclinaisons (scène 6). Il vient demander au Hasard
« des nouvelles pratiques pour remplacer celles qui se trouvent
hors d’état de reparaître », ce à quoi le Caprice lui
conseille de s’attacher « quelques beautés ». Le
prochain à se présenter est la Loterie qui vient « promptement
saluer [le Hasard] » mais prend, tout de même, le temps de
décrire au Caprice ces activités (scène 7). Une fois seul, le
Caprice se délecte de l’entretien qui vient d’avoir lieu et
applique les principes de la Loterie à la vie même (scène 8). Il
s’en suit deux longues scènes qui voient paraître successivement
Mademoiselle Bertrand et Suzon, qui sont jumelles, ainsi que Colette
puis le Chasseur. Les deux jumelles sont de vieilles coquettes qui se
disputent le cœur du Chasseur en vain puisque celui-ci n’a d’yeux
que pour Colette, fille de Mademoiselle Bertrand. Le Caprice tranche
en faveur des deux jeunes amants lorsque le Chasseur lui confesse sa
préférence (scène 9 et 10). Le Hasard revient enfin, emmenant avec
lui un jeune homme (scène 11). Celui-ci se dit fils du Hasard et lui
demande de lui choisir une femme. Le Hasard lui suggère la première
venue et ne répond de rien. La pièce se termine sur un
divertissement avec des matelots et des bohémiens.
Commentaire
Si
l’on a déjà vu ce qu’était une pièce à tiroirs dans la
notice du Départ de l’Opéra-Comique,
on peut ici ajouter que, contrairement à la pièce de Pannard et
Fuzelier, Le Hasard
nous présente bien les « audiences d’une divinité ou d’une
fée (ou de l’un de ses substituts) chargée d’entendre les
souhaits ou les plaintes des mortels […] »24.
En effet, le personnage éponyme de la pièce se présente bien comme
une divinité lorsqu’il dit au Caprice que « les mortels
savent [qu’il est] un dieu sans façon » à la scène 2. La
pièce de Pontau est, néanmoins, intéressante parce que ces
divinités sont des allégories de grandes notions : le Hasard,
le Caprice, la Folie puis la Mode, le Chevalier Lansquenet
représentant du jeu et la Loterie. Ces allégories se définissent
comme des puissances supérieures qui guident et influencent les gens
dans leurs actions et leurs prises de décisions. Ce ne sont donc pas
à proprement parler des « divinités » mais Pontau
s’amuse de l’emprise que peuvent avoir ces grandes notions sur
les hommes et les intronise. D’autre part, telle que l’énonçait
Dominique Quéro, le Hasard délègue également à un autre sa
prérogative à tenir audience. Lorsqu’il paraît enfin, à la
scène 2, le Hasard demande au Caprice : « Reçois mes
sujets / Remplis leur projet, / Rends-les satisfaits. / Je te
laisse un plein pouvoir, / Caprice, fais ton devoir ». Cette
idée de « devoir » revient sous une autre forme, à la
scène 6, lorsque le Caprice se présente comme le « secrétaire
/ agent, commis et factotum » du Hasard.
Notre pièce suit
également bien le schéma de Dominique Quéro lorsqu’il traite
d’ « entendre les souhaits ou les plaintes des
mortels ». En effet, différents personnages se succèdent pour
se présenter devant le Caprice, bien qu’il ne s’agisse pas
systématiquement d’un « mortel ». Certains viennent
rendre hommages au Hasard tel que la Mode à la scène 4, ou
simplement le saluer comme la Loterie à la scène 7. D’autres lui
adressent des demandes comme la scène 6 où le Chevalier Lansquenet
dit : « Je venais prier le Hasard de m’adresser de temps
en temps des nouvelles pratiques pour remplacer celles qui se
trouvent hors d’état de reparaître ». On peut également
songer aux scènes 9 et 10 où Mademoiselle Bertrand et Suzon,
deux vieilles coquettes, demandent au Caprice de trancher qui des
deux à la primauté sur le cœur d’un jeune homme.
Mais, lorsque les
allégories rendent la pièce originale, nous sommes également
confrontés à des personnages et des scènes types des théâtres de
la Foire. La scène des vieilles coquettes en est un parfait exemple.
On trouve, en effet, des vieilles femmes qui tentent de séduire le
jeune homme, nommé par le titre de « Chasseur », dont la
fille de l’une d’entre-elles, Colette, est amoureuse. Si tout se
finit effectivement par l’union des jeunes gens par le Caprice, le
motif de la scène n’en demeure pas moins connu, vu et revu, du
répertoire forain. Quelques éléments distinguent, néanmoins, la
scène de Pontau. Il n’est, en effet, pas question d’une vielle
coquette et de sa fille, mais de deux vieilles coquettes et des
jumelles qui plus est. Le dédoublement qu’engendre la gémellité
renforce le comique de situation d’une telle scène type car la
jeune fille n’a pas à faire face à une mais deux opposantes qui
se chamaillent. La querelle qui anime les deux sœurs n’est pas
sans rappeler ce qu’écrivait Nathalie Rizzoni que « les
crêpages de chignon sont, au propre comme au figuré, légion »25
dans les pièces forains. De même, on trouve une situation type
évoquée par la Folie dès la scène 1. Il est, en effet, question
d’« un vieux garçon / [qui] veut entrer en ménage / [et]
prend en mariage / Un jeune tendron », il est décrit comme
« hideux / […] quinteux / […] gouteux ». Cette courte
mention renvoie bien aux situations types des récits de fabliaux. On
retrouve cette situation dans le divertissement final où il est
question d’ « un jaloux » qui emprunte les yeux
« d’Argus […] pour éviter le cocuage ». La
mention du nom « Argus » est intéressante parce qu’elle
renvoie à la fable et à l’espion domestique clairvoyant. Le lien
intertextuel est donc parfaitement assumé et exploité par l’auteur.
D’autre part, un aspect intéressant vient s’immiscer dans le
stéréotype du vieillard qui épouse une jeune fille. En effet, les
actions de celui-ci sont dictées par la Folie comme celle-ci le fait
remarquer à la scène 1 : « Oui, voilà la chimère / Qui
séduit le vieillard. / Je l’entretiens dans cette folle erreur /
Et j’en ris de bon cœur ». Nous sommes confrontés à un
nouvel exemple de ces puissances ayant du pouvoir sur les hommes avec
cette idée d’ « entretenir ». Il en est également
question, à la scène 4, lorsque la Mode emploie des expressions
telles que « les hommes ne peuvent m’échapper » ou
« ceux sur qui je règne ».
Finalement, à
chaque fois que la pièce risque de tomber dans le stéréotype,
Pontau introduit un élément qui la rend originale, flirtant ainsi
toujours avec les thèmes clichés.
Les
cibles typiques de la satire
Ce
qui est intéressant néanmoins est l’usage qui est fait de la
pièce à tiroirs car chaque nouvelle scène est le lieu d’une
nouvelle critique. Si Pontau se joue des attentes que peut avoir le
public, il insère néanmoins des critiques types que l’on retrouve
dans un certain nombre de pièces du répertoire forain.
La plus évidente
est celle qui vise les médecins. Les sergents d’Hippocrate sont
cités à deux reprises dans la pièce de Pontau. La première
mention se trouve à la scène 2, lorsque le Hasard dit sortir d’une
assemblée de la faculté de médecine où il a présidé « à
la réception d’un jeune docteur ». La critique à leur
encontre est proférée par le Caprice lorsqu’il dit au
Hasard : « ces messieurs-là ont raison de vous
déférer l’honneur du pas ». Le Caprice établie d’une
façon ironique que les médecins tiennent en respect le Hasard. Le
comique joue sur l’inadéquation qu’il peut y avoir pour des gens
de science à croire davantage au hasard. Le Caprice achève la
critique des médecins en affirmant que « les plus habiles de
l’art / Doivent leurs succès au Hasard ». Pontau ne s’arrête
pas là et apporte d’autres éléments à la critique, à la scène
4, lorsque la Mode explique que les médecins sont aussi de ceux qui
suivent son sillage en changeant tous les jours de méthode. Ainsi,
en plus d’avoir des pratiques hasardeuses, les médecins en ont
aussi d’incertaines et de mouvantes.
La pièce de
Pontau n’échappe pas à une autre cible typique des pièces
foraines qui est celle des membres ecclésiastiques. On relève, en
effet, la mention d’un « abbé galant » dont la Mode
dit qu’ « il ne saurait vivre sans [elle] » à la
scène 4. Celle-ci le présente comme « dépositaire / De tous
[ses] règlements / Et de plus secrétaire / De [ses]
commandements ». S’il est déjà incongru qu’un abbé
attende la mode « pour décider sur une nouvelle forme de
mouches [et régler] le coloris pour cette année », la
critique est d’autant plus féroce que son nom est « Colifichet ».
Le terme renvoie, selon le dictionnaire de l’Académie
datant 1762, à certains petits ornements qui n’ont point de
convenance et de rapport avec les lieux où ils sont mis. Dès
l’annonce de son nom, Pontau se moque donc en insinuant qu’il
n’est pas convenable de trouver un abbé et la mode associés.
Si l’abbé est
visé, c’est plus largement que Pontau se moque de la coquetterie
des Français. Ils sont, en effet, visés pour la première fois à
la scène 4 lorsque le Caprice témoigne que le Français « est
tout dévoué » à la Mode. Cet élargissement de la satire
s’observe également durant le divertissement final où les
Français et ses différents types d’habitants sont visés. On
trouve, en effet, dans le cinquième couplet, les vers suivants :
« Un Français constant en amour, / Un cadédis sans hyperbole,
/ Un de ces importants de cour / Jaloux de tenir sa parole, / Un
Normand plus franc qu’un Picard, / On en peut trouver par hasard ».
Le Français est ici à nouveau pris pour cible. Par un jeu
d’euphémisme, il est présenté comme un inconstant, un volage.
Les vers ne se limitent pas à cette entité englobante, ils sont
riches de plusieurs stéréotypes. La première classe correspond aux
stéréotypes régionaux avec la mention du « Normand »
et du « Picard ». Le gascon est sous-entendu par l’emploi
en tant que substantif d’un juron qui lui est habituellement
attribué. On le reconnaît également dans la mention
d’ « hyperbole » car le gascon est souvent
représenté comme un vantard, un matamore. La seconde classe
correspond davantage à une activité. Il est, en effet, question de
gens « cour », de courtisans donc. Ils nous sont
présentés comme des personnes indignes de confiance. L’humour
s’appuie sur un décalage avec les stéréotypes et l’ironie
finale des vers traitant du hasard.
Les femmes sont
également soumises à la satire. Pontau joue sur le stéréotype qui
les présente généralement comme des bavardes. En effet, le Caprice
demande aux deux vieilles coquettes de la scène 10 de prêter « un
profond silence ». Il se permet de commenter par les propos
suivants : « c’est beaucoup exiger de vous, j’en
conviens, mais cela est absolument nécessaire ». Le comique
de ce jeu avec les stéréotypes suppose la complicité du public.
Cela est flagrant dans la scène 10 lorsque Mademoiselle Bertrand dit
rester interdite et que Suzon s’exclame que « la parole [lui]
manque ». En effet, lorsque le Caprice dit aux jeunes gens de
se hâter de prendre une décision « avant que la voix leur
soit revenue », le spectateur ne peut s’empêcher de se
souvenir de la satire que nous venons d’évoquer et qui précède
cette réplique.
Notons,
néanmoins, que la satire ne s’arrête pas aux autres. Pontau fait
aussi preuve d’autodérision en moquant l’Opéra-Comique, ses
auteurs et son public lorsqu’il fait dire au Caprice que le
Hasard a : « [choisi] l’Opéra-comique / Comme sa meilleure
pratique. / Si l’on s’en rapporte aux railleurs, / Sa
conduite n’est point fardée. / On trouve ici plutôt qu’ailleurs
/ De la marchandise hasardée ». En effet, Pontau s’amuse des
critiques portant sur le bien-fondé de l’Opéra-Comique et cherche
à provoquer le rire en jouant avec les mots et leurs sens. Il
en va de même avec son public lorsque le Caprice évoque le fait
qu’il ne « demande que d’aimables folies et d’heureux
caprices ».
Une
pièce sur les « folies » humaines
Si
les répliques qui concernent le « vieux garçon » et son
« jeune tendron » en sont déjà des exemples, la pièce
de Pontau est jalonnée d’éléments renvoyant à tous ce qui a
trait aux vices et folies humaines de l’époque dans laquelle il
vit. En effet, durant cette première scène, la Folie évoque bien
l’idée de « folle erreur » pour désigner le désir du
vieillard qui veut « frustrer tous ses neveux [de son
bien] ». Le thème de l’avarice est ici dépeint comme le
premier vice de la pièce à travers cette rapide mention. De même
que nous évoquions les deux coquettes des scènes 9 et 10, le thème
de la luxure est par leur biais évoqué comme le suggère les
paroles du vaudeville chantées par les deux sœurs : « Il
s’agit d’un jouvenceau / D’allure fringante, / Il est grand, /
Bien bâti, / Beau. / […] Tout en lui me tente, / Sa figure
m’enchante ». Cette idée de luxure est renforcée par
d’autres expressions telle que « Pour mon amusette / Je vais
quelque fois / Cueillir la noisette / Dans le fond des bois ».
Ces allusions grivoises viennent, en effet, fortifier le thème de la
luxure.
Chaque allégorie
qui se présente devant le Caprice entre ces deux scènes, est un
nouveau moyen d’illustrer ces folies. En effet, lors de la scène
4, la Mode est désignée comme fille « du Caprice et de la
Folie », annonçant ainsi un ascendant qui reste dans la
thématique. La Mode met en exerce un aspect versatile et mouvant du
genre humain qui est sous son règne. On trouve, en effet, durant
cette scène 4, les propos suivants : « aussi me donné-je bien
du mouvement, je suis toujours occupée et j’imagine sans cesse
quelque chose de nouveau ». En une réplique seulement, Pontau
expose cette idée d’instabilité en s’appuyant sur des termes
tels que « mouvement », « toujours » ou
encore « sans cesse ». La Mode est représentée sous
deux couverts. Le premier est celui qui concerne l’idée de
nouveauté évoquée dans la citation précédente. En effet, un
règne de l’éphémère est suggéré lorsque la Mode dit : «
J’ai mis chez des auteurs fameux, / Les termes nouveaux en usage /
On voit même le médecin / Tous les jours changer de méthode
». S’il est toujours question de changement, il est également
question des tendances qu’ont les hommes dans leur manière d’agir,
de se comporter. Rappelons que la définition de la mode est, selon
le Dictionnaire de l’Académie
de 1694, la manière qui est en vogue sur de certaines choses
qui dépendent de l’institution et du caprice des hommes. Une fois
encore le thème se retrouve puisque, dans la pièce de Pontau, le
Caprice et la Folie sont mariés. Le second couvert est celui qui
concerne la coquetterie, la mode dans le sens de l’apparence
physique. En effet, on trouve tout un champ lexical de tous ce qui a
trait aux éléments vestimentaires et physiques avec des termes tels
que « l’habit, la taille et le visage », « souliers
plats, sans quartiers, sans empeigne », « longues
cannes », « lorgnette en main », « mantille »,
« mantelet », « formes de mouches », ou
encore le « chignon ». L’accent est mis sur le
changement perpétuel lorsque la Mode chante que « tout aspire
à la nouveauté » et que l’on change vite « d’envie ».
Mais au-delà de cette folie humaine pour la nouveauté qui est mise
en avant ici, la scène est également le lieu d’un fourmillement
de realia
concernant les codes vestimentaires de l’époque. Cela est d’autant
plus frappant avec la mention de « Frison » qui, selon
Catherine Lebas et Annie Jacques, « fut le premier coiffeur en
renom au XVIIIe siècle ; il coiffait à la cour et en ville, en
particulier Mme Dodun, femme d’un contrôleur des Finances […] »26.
Il en va de même
avec la scène du Chevalier Lansquenet qui illustre le goût immodéré
des hommes pour les jeux d’argent. Notons, tout d’abord, que si
le lansquenet est une sorte de jeu de carte, un effet homophonique
intéressant existe entre Lansquenet et Lancelot, appuyé par le
titre de chevalier. Nous évoquions précédemment l’influence du
fabliau, nous sommes ici confrontés à rapport d’intertextualité
parodique avec les récits autour de la légende du roi Arthur.
D’autres éléments à valeur polysémique accentuent ce rapport.
On trouve, en effet, l’idée de « cercle » ainsi que
l’image du cheval dans les derniers vers du vaudeville « Du
trot ». Il est également fait mention d’« un tapis
vert » autour duquel le Chevalier tient assemblée.
L’expression fait penser à la table ronde mais il s’agit sans
doute d’une référence faite au jeu de billard qu’Elisabeth
Belmas, dans son ouvrage, décrit comme une « table
rectangulaire, bordée de bois et couverte d’un drap vert »27.
Il semblerait, selon elle, que le jeu « quitte définitivement
les jardins pour l’intérieur des demeures »28,
ce qui expliquerait la mention de l’hiver qui est faite dans le
vaudeville.
Songeons,
ensuite, que le personnage du Chevalier Lansquenet est donc lui-même
une allégorie du jeu. Chacun des titres dont il prétend être le
détenteur, « baron du cochonnet, / Et de la bassette / Et de
la roulette », « Marquis du cornet », « comte
du hoca » ou encore « seigneur du Pharaon, Beriby, tope
et tingue », font référence à des jeux qui ont cours aux
XVIIe et XVIIIe siècles. Il est intéressant de noter que le point
commun qui unit tous ces jeux est le hasard29.
Néanmoins, la folie humaine qui nous est présentée ici est autant
celle du jeu que celle qui consiste à parier de l’argent. De fait,
le Chevalier chante les propos suivants : « là sont reçus
les gens de tous états / Si tôt qu’on sait qu’ils ont force
ducats ». Il continue sur ce thème lorsqu’il dit que « sans
un sous de revenu, [il a trouvé] le secret de vivre comme un homme à
quarante mille livres de rente ». Il évoque ainsi l’idée
que c’est grâce aux hommes qui jouent et parient qu’il
s’enrichit et prospère. Le fait que le Chevalier vienne prier le
Hasard du lui adresser « de temps en temps des nouvelles
pratiques pour remplacer celles qui se trouvent hors d’état de
reparaître », suggère que les hommes qui jouent se ruinent. Le
danger du jeu transparaît dans le vaudeville intitulé « Qu’on
estimerait » où le Chevalier Lansquenet se dit avoir « l’air
naïf / Et persuasif ». Il semble donc, à première vue,
inoffensif mais se révèle pernicieux. Le vaudeville évoque
également le ridicule du comportement des hommes qui se prêtent aux
jeux. Il paraît avec la répétition de la désinence en « if »
qui devient presque moqueuse, notamment avec les vers : « Celui
qui perd est plaintif. / Il devient pensif / Et quelquefois
convulsif ». Cette idée est renforcée avec la mention que les
hommes « doivent offrir aux yeux un spectacle amusant ».
Ce rapport à l’argent est également suggéré avec la Loterie à
la scène 8. Le Chevalier Lansquenet annonce donc l’arrivée de
celle-ci puisque la loterie est également un jeu qui s’appuie sur
le hasard. En effet, l’allégorie est désignée comme son
« principal ornement » néanmoins, elle se place
également sous le signe de la folie lorsque le personnage avoue au
Caprice qu’on l’aime « à la folie ». Si l’appât
du gain est ici le vice qui est suggéré, l’obsession que provoque
la Loterie est davantage ce qui est mis en avant. On trouve, en
effet, des expressions telles que « chaque mortel est friand /
De se voir sous mon empire » ou bien « j’occupe tous
les esprits ».
La Loterie va
jusqu’à prendre une dimension transcendante lorsque le Caprice
applique son principe à la vie des hommes même lorsqu’il chante :
« L’un naît grand, l’autre naît petit / L’un sot et
l’autre homme d’esprit, / C’est une loterie ». Ces vers
démontrent à nouveau que chacune des allégories qui entrent en
scène n’est là finalement que pour renvoyer au genre humain et
son rapport qu’il entretient autant avec le hasard que la folie et
le caprice.
_________________________
1
Théodore Lebreton, Biographie Rouennaise, Rouen, 1865, p.
45.
2
Voir : F. Rubellin, « Stratégies parodiques à la Foire
et aux Italiens : le dénouement d’Atys de Lully et
Quinault », In Théâtre en musique et son double, éd.
Délia Gamehelli, Paris, Champion, 2005, p. 141-191.
3
Notice d’Isabelle Degauque pour « Pannard, Pontau et Parmentier,
Alzirette » In Théâtre de la Foire : anthologie de
pièces inédites 1712-1732, éd. Françoise Rubellin,
Montpellier, Ed. Espaces 34, 2005, p. 310.
4
François Parfaict et Claude Parfaict, Dictionnaire des théâtres
de Paris, Paris, Lambert, 1756, Vol. 4, p. 219-221.
5
Notons que l’on peut trouver le manuscrit de la pièce à la
bibliothèque-musée de la Comédie-Française.
6
Théodore Lebreton, Op. Cit., p. 45.
7
Voir : Claude-Florimond Boizard de Ponteau, Théâtre inédit
de Boizard de Ponteau : XVIIIe, Paris, Bibliothèque
nationale, 1976.
8
Théodore Lebreton, Op. Cit., p. 45.
9
On trouvera, en annexe 1, une chronologie représentant les périodes
où Pontau était entrepreneur.
10
Notice biographique d’« Arlequin Atys » par Françoise
Rubellin, In Atys Burlesque, Ed. Espaces 34, 2011, p. 27-28.
11
Maurice Barthélémy, « L’Opéra-Comique des origines à la
Querelle des Bouffons », In L’Opéra-Comique en France au
XVIIIe siècle, éd. Philippe Vendrix, Liège, Mardaga, 1992, p.
52.
12
Maurice Albert, Les Théâtres de la Foire (1660-1789), Genève,
Slatkine, 1969, p. 161
13
Laffichard était souffleur puis trésorier de la Comédie-Italienne,
il a donné à ce théâtre plusieurs petites pièces tant seul
qu’en société.
14
Charles-Simon Favart, Mémoires et correspondance littéraires,
L. Collin, 1808, VOL. 2, p. 419-420.
15
François Parfaict et Claude Parfaict, Op. Cit., p. 219-221.
16
Il s’agit de Les Deux suivantes (FSL, 1730), Le Bouquet
du Roi (FSL, 1730), La Comédie sans hommes (FSG, 1732),
Les Fêtes galantes (FSL, 1736) et Le Rien (FSL,
1737).
17
Voir : Théâtre de la Foire : anthologie de pièces
inédites 1712-1732, éd. Françoise Rubellin, Montpellier, Ed.
Espaces 34, 2005, p. 318-355.
18
Il s’agit d’une parodie de Didon de Lefranc et Pompignan.
19
François Parfaict et Claude Parfaict, Op. Cit., p. 219-221.
20
Suite de l’état des pensions sur le trésor royal, Paris,
Imprimerie nationale, 1790, V. 3, p. 76.
21
État nominatif des Pensions sur le trésor royal, Paris,
Imprimerie nationale, 1789, V. 1, p. IV.
22
Acad. 1798.
23
François et Claude Parfaict, Mémoires pour servir à l’Histoire
des spectacles de la Foire, Briasson, T. 2, 1743, p. 133-134.
24
Dominique Quéro, Art. Cit., p. 811-822.
25
Nathalie Rizzoni, « Les Dessous de l’Opéra-Comique avant
1750 », In La Fabrique du théâtre : Avant la mise en
scène (1650-1880), Ed. Mara Fazio et Pierre Frantz, Paris,
Desjonquères, 2008, 443 pages.
26
Catherine Lebas et Annie Jacques, La Coiffure en France du Moyen
âge à nos jours, Paris, Delmas, 1979, p. 158.
27
Elisabeth Belmas, « Figure 21 : plan du jeu des passes »,
In Jouer autrefois : Essai sur le jeu dans la France
moderne, Seyssel, Champ Vallon, 2006.
28
Ibidem.
29
On trouvera, en annexe 12, un glossaire des jeux évoqués dans la
pièce.
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