samedi 16 janvier 2016

Une touche de crayon par ci, par là : "La Bombe Humaine"


" Je veux vous parler de l'arme de demain ;
Enfantée du monde, elle en sera la fin ;
Je veux vous parler de moi, de vous " 

- Téléphone, "La Bombe humaine" 
dans Crache ton venin, 1979.

mercredi 13 janvier 2016

Série de photographies : Monts et roches dans les Pyrénées











" Que sont les hommes comparés aux rochers et aux montagnes ? "

- Jane Austen, Orgueil et Préjugés, 1813.


Commentaire de la traduction de la nouvelle, A Fear for the Future, d'Elizabeth Gaskell

 Horizon de traduction


Notre objectif, ici, est d’établir les grandes lignes motrices de notre horizon de traduction tel un préambule théorique à notre commentaire pratique.

Tout au long de notre présentation de la nouvelle, on a cessé de marteler à quel point celle-ci était ancrée dans une époque et une culture bien précises. Ces éléments seront, en effet, un des fondements de nos choix de traduction. On insistera, en effet, sur une idée de « verres colorés » à la différence des « verres transparents » comme premier cap de traduction. En s’appuyant sur l’idée qu’« une traduction qui "sent la traduction" n’est pas forcément mauvaise »1, on a jugé qu’il nous fallait le plus possible conserver les termes anglais qui rendaient compte d’une réalité et d’une culture et qui poussaient, également, la culture cible à s’ouvrir et s’élargir. Comme l’écrit Wilhem Won Humbolt dans sa préface à L’Agamemnon, la langue est un milieu dans lequel l’homme naît et ne peut se soustraire complètement. Avec de même espoir de s’enrichir par le détour de l’étranger, on a voulu, par notre traduction, tenté de plonger le lecteur français dans ce milieu en lui rappelant sans cesse la couleur étrangère du texte par des termes conservés ainsi que par des notes de traduction.

L’un des défis principaux a donc résidé dans notre capacité à établir la mesure « de partage entre l’étranger, das Fremde, et l’étrangeté, die Fremdheit »2. En effet, il apparaissait important de définir la ligne à ne pas franchir pour ne pas tomber dans une traduction obscure à force d’insertions étrangères. Cependant, les langues n’étant que des synonymes  et ne proposant que des grilles de lectures différentes, des disparités étaient indubitablement à venir. On ne peut, en effet, jamais vraiment dire tout à fait la même chose lorsque l’on a affaire à deux langues différentes. La traduction nous est apparue comme une activité faite de choix et de compromis. Pour répondre à ce problème, nous nous sommes inspirés de la vision proposée par Umberto Eco dans son ouvrage, Dire presque la même chose. Il y propose, en effet, une marge d’infidélité autour d’un noyau de fidélité. Le travail de traduction consistant, finalement, en une « négociation »3 où pour obtenir quelque chose, il faut parfois renoncer à quelque chose. Nous sommes, ainsi, partis à la conquête du texte source en gardant à l’esprit que nous allions devoir parfois compenser les carences de traduction de certains passages à d’autres moments. Dans cette perspective, on a également considéré les notes de bas de page comme un moyen de compenser la perte et d’apporter les éléments de compréhension là où l’on a été forcé de renoncer. Nous ne voulions, de fait, pas considéré la note de bas de page comme une honte du traducteur mais plutôt comme une preuve d’humilité, de didactisme et de respect vis-à-vis du texte comme du lecteur. Il nous a paru important de ne pas cacher à ce dernier la réalité du texte source. Nous avions en tête de mettre le lecteur au même niveau de compréhension du texte auquel on était parvenu au terme du travail de traduction. D’autre part, dans sa préface, Humboldt préconise de laisser les obscurités du texte là où elles sont et de ne pas les éclaircir ; or, le problème qui se pose avec un texte comme le nôtre est que l’on est plongé dans une époque précise et très éloignée de notre époque actuelle. Ne proposer aucune explication, c’est perdre les realia, les traits de culture qui font tout le sel du texte. Il nous a donc semblé que le rôle d’une traduction était aussi d’apporter ces éléments à la connaissance du lecteur. On a donc essayé de maintenir un juste équilibre entre le respect du texte et celui qui en sera le récepteur.

Avant de passer, au commentaire à proprement parler, il est nécessaire, au préalable, de préciser que les passages difficiles à traduire concernent les éléments qui constituent l’identité du texte, qui en font l’originalité. On peut discerner deux grands types d’éléments résistants au passage d’une langue à l’autre. D’abord, des problèmes qui sont relatifs à l’identité culturelle du texte ; ensuite, des problèmes qui concernent la langue anglaise. Aux côtés de ces deux éléments identifiés, un dernier problème de traduction se dresse ; il s’agit, cette fois, de l’emploi fait par Mrs. Gaskell de la langue, au style adopté dans la nouvelle.

Problèmes de traductions relatifs à la culture


Comme on avait déjà pu le constater lors de sa présentation, la nouvelle est résolument ancrée dans une époque et une culture. Au-delà de la langue, la nouvelle est plongée dans une réalité différente de celle de la culture cible. Certains termes, références ou encore noms propres nous imposent un cadre spécifique anglais qui s’est avéré être difficile à rendre en français puisque notre horizon de traduction était résolument contre l’idée d’une annexion totale telle qu’elle est présentée par Mathieu Guidère, reprenant Pour la Poétique II de Meschonic, dans son ouvrage.4

L’intertextualité


Comme nous en avions déjà fait mention lors de sa présentation, la nouvelle est riche de toute une intertextualité. On trouve, en effet, des citations et des concepts insérés au fil du texte ainsi que des titres de poèmes cités.

On a, ainsi, discerné au quatrième paragraphe :
The style of hospitality prevalent in this modern Babylon is certainly much more ethereal
Que l’on a fait le choix de traduire de la façon suivante :
Le style d’hospitalité qui prévaut dans cette Babylone moderne est certainement beaucoup plus éthéré
N’étant pas mis en exergue par des guillemets, la première difficulté a été de déceler cette citation. La seconde difficulté a été d’en identifier la source. Difficile, en effet, car certains manuels d’Histoire ont attribué l’épithète « modern Babylon » à Byron alors qu’il s’agit d’une citation de Benjamin Disraeli du chapitre 5, de son œuvre Tancred de 1847. Dès lors, le nouveau problème qui se pose est de savoir ce que l’on doit faire de cette citation par rapport à un public français du 21e siècle. En effet, Benjamin Disraeli est un de ces auteurs de l’époque victorienne qui a été éclipsé avec le temps par d’autres grandes figures comme Dickens. Pourtant, il s’agissait bien d’un contemporain de Mrs. Gaskell, premier ministre de sa Majesté en 1868 et 1880. Le fait qu’il soit cité sans guillemet dans la nouvelle nous laisse supposer qu’il était pourvu d’une certaine notoriété littéraire à l’époque. De nos jours, le manque de connaissance vis-à-vis de cet auteur peut occasionner la perte de la richesse du texte au lecteur. Plusieurs solutions se sont donc offertes alors à nous ; soit mettre entre guillemets pour insister sur la citation, soit insérer une note de bas de page à caractère explicative. Pour résoudre cette difficulté, nous avons choisi de respecter la citation sans guillemet telle qu’elle était présente dans le texte source. En effet, on prit cette décision en réfléchissant au contexte ; le personnage qui nous narre l’histoire est un gentleman instruit ancré dans une époque précise. Notre narrateur doit donc certainement connaître Benjamin Disraeli et l’œuvre dont provient la citation. L’absence de guillemet peut être comprise comme une manière subtile et humble d’exposer sa culture. Cela étant dit, contenu de la méconnaissance actuelle de Benjamin Disraeli et de l’écart temporel entre notre époque victorienne et l’époque actuelle, on a opté pour une note de bas de page explicative où l’on précise la provenance de la citation. On n’avait à l’esprit de ne pas laisser le lecteur manquer une référence qui, à l’époque de Mrs. Gaskell, aurait été comprise. Cet exemple d’intertextualité nous pousse finalement à nous interroge sur les adaptations que nécessite un texte d’une époque différente contenu des différences de connaissances entre les récepteurs du texte.

Dans un registre similaire, on a pu discerner à travers la mention d’un terme anglais toute une conception idéalisée de la femme au foyer, datant de l’époque victorienne. Rappelons, avant tout, que l’on avait déjà signalé cette conception précédemment lors de la présentation de la nouvelle. Cela étant dit, on peut relever le terme à la fin du dixième paragraphe :
They were women, the helpmates, consolers, and adornments of our homes
Que l’on a décidé de traduire par :
Elles étaient des femmes, les compagnes, les consolatrices et les parures de nos maisons
Avec un seul substantif, Mrs. Gaskell projette son lecteur vers un vaste réseau de sens propre à son époque. L’idéal de la femme au foyer a, en effet, été traité par de nombreux auteurs ; le terme spécifique anglais de « helpmates » n’a rien d’anodin. Lorsque le narrateur l’emploie dans cette énumération qui se veut décrire l’idéal de la femme tel qu’il l’a connu, il est d’office adjoint à un courant de pensée. Le problème qui se pose lorsque l’on doit passer à la traduction est que cette conception est propre à l’époque victorienne et aux auteurs qui en sont à l’origine. On ne peut se permettre d’annexer le texte par un concept français équivalent car, derrière ce clin d’œil qu’est le substantif « helpmates », les figures littéraires qui ont créé et employé cette conception se dissimulent. On aurait pu se contenter de simplement traduire le substantif par sa traduction française de « compagnes » mais l’on aurait alors caché aux lecteurs tout un pan de signification. Nous sommes donc parvenus à la conclusion qu’il était nécessaire d’introduire une note de bas de page, une fois encore, à valeur explicative. Son usage nous a paru être le meilleur compromis, la meilleure « négociation » comme l’écrit Umberto Eco dans son ouvrage. En effet, on perçoit, ici, tout l’intérêt de la note de bas de page. Il ne s’agit pas de la « honte » du traducteur mais plutôt d’un rappel que l’on est face à un texte étranger, à deux langues comme à deux cultures différentes. Ne pas faire usage de la note de bas de page serait omettre certains éléments et donc nier aux lecteurs un accès total à la compréhension du texte.

Le dernier problème que nous a posé l’intertextualité de la nouvelle concerne les poèmes que sont « The Thorn » de William Wordsworth et « The Manly Heart » de Georges Wither, cités au septième paragraphe.

Il est ici question d’un problème d’enchevêtrement des traductions. Lorsque le poème « The Thorn » a une existence française bien réelle et officielle à travers la traduction de Sophie Vige et Dominique Peyrache-Leborgne, il n’en est pas de même pour « The Manly Heart » qui n’a d’existence qu’à travers le texte source. On a donc préféré ne pas traduire ces titres et les conserver en version originale pour deux raisons. On a, d’une part, considéré que notre connaissance de Georges Wither et de sa production littéraire était trop maigre, que le temps que l’on pouvait accorder à ce poème était insuffisant pour nous permettre d’en proposer une traduction ferme et solide. D’autre part, l’apparition de titre anglais nous a aussi semblé être un rappel opportun pour le lecteur. Il était, en effet, dans notre projet de traduction de toujours rappeler à celui-ci qu’il était face à une traduction et que l’intertextualité présente appelait à un champ littéraire anglais.

Ainsi, pour un souci de cohérence, malgré la traduction proposée par Sophie Vige et Dominique Peyrache-Leborgne, on a choisi de laisser aussi le titre du poème de William Wordsworth en version originale. Cependant, il nous est apparu nécessaire d’accompagner chaque poème d’une note de bas de page informant systématiquement le lecteur de l’auteur et de la provenance du poème. Dans le cas de « The Thorn », on a précisé la traduction du titre, « L’Épine », proposée par Sophie Vige et Dominique Peyrache-Leborgne. On a également indiqué où l’on pouvait trouver la traduction complète du poème. Il en a été de même pour le poème de Georges Wither, « The Manly Heart », cependant on s’est proposé d’en donner une traduction sommaire que l'on trouvera dans un autre article. Nous la qualifions ici de sommaire car l’on n’a pas pu travailler le poème autant qu’il aurait été nécessaire de le faire et l’on s’est attelé, avant tout, à traduire le sens plutôt que la forme. 5

En effet, il y aurait beaucoup à dire sur ce poème. On peut, tout d’abord, signaler qu’il est possible de trouver ce poème sous différentes appellations. Dans Specimens of the Early English Poets,6 le poème est présenté sous le titre « song ». Ce titre est intéressant parce qu’il confirme le contexte dans lequel le poème est mentionné. Notre narrateur prétend effectivement jouer de la flûte pour sa promise. Toutefois, on peut aussi trouver ce poème sous le titre « The Lover's Resolution » que l’on pourrait traduire par la résolution, la décision d’un amant. En gardant ces éléments à l’esprit, on s’est proposé de traduire le titre « The Manly Hear » par « Un cœur résolu ». Pour commenter brièvement ce choix, on constate que si l’on s’attache strictement aux sens des mots, il est vrai que l’adjectif « manly » signifie « viril ». Cependant, selon le dictionnaire étymologique,7 l’adjectif « manly » renvoie, au 17e siècle, plutôt à « adulte », « raisonnable » en opposition à « enfant », « irréfléchi », « indécis ». En effet, à la lecture du poème, la reprise de deux vers à la fin de chaque strophe sonne comme un refrain incessant. Cette répétition nous donne l’impression que le poète tente de se convaincre, d’affermir une décision déjà prise d’où notre choix de « résolu ». L’adjectif renvoie à une fermeté par rapport à des projets, il se rapporte à quelqu’un ou quelque chose de déterminé. Il s’allie donc au titre « The Lover's Resolution » et propose une antithèse correcte à « irréfléchi », « indécis que l’on a précédemment désigné comme l’opposition de l’adjectif « manly ».

Les realia


Le terme de realia vient du latin et signifie « les choses réelles » ; il est employé pour se référer, en linguistique, à une unité lexicale qui désigne la réalité particulière d’une culture. Les realia sont, dans notre nouvelle, un point de traduction récurrent qui nécessite une attention particulière. De fait, dans le but de suivre l’horizon de traduction que nous nous étions fixé consistant à souligner « l’étranger » du texte source sans tomber dans « l’étrangeté »8, nous avons fait le choix de conserver des termes tels que « miles », « gentleman » ou encore « Mr. ».

Le terme de « miles » est, en effet, plus largement connu de nos jours au point de ne pas heurter la lecture et de contribuer à cet effet de couleur locale que l’on cherche à mettre en avant. Ce choix de conserver en état repose également sur le fait que le terme ne renvoie pas avec exactitude à une mesure française puisqu’un « miles » correspond à 1609 mètres. Il nous est apparu difficile de traduire tout en conservant la précision qu’impliquait la mesure anglo-saxonne. Cela étant dit, pour répondre à la possibilité d’une non-connaissance du lecteur de ce taux de change, on a pris le parti d’insérer une note de bas de page à caractère informative. On peut aussi préciser, ici, que nous avons fait des choix identiques pour les jeux de carte cités, au deuxième paragraphe : « Faire une partie de whist […] Les enfants étaient autour de jeux tels que le vingt-un ou la spéculation ». Nous nous sommes permis de conserver les jeux tels qu’ils étaient nommés en apportant uniquement, par une note de bas de page, quelques explications basiques sur leurs origines. Il nous a semblé important de ne pas annexer ces terminologies parce qu’elles mettaient en valeur la différence d’époque et de culture.

Les choix concernant le terme de « gentleman » et l’abréviation « Mr. » reposent sur ce même fondement de conserver « l’étranger » du texte et sur l’acquis que leurs emplois sont assez répandus pour ne pas heurter la compréhension du lecteur. Toutefois, leur absence de traduction repose sur de toutes autres explications. Dans le cas du terme « gentleman », il apparaît évident que le terme appelle une réalité spécifique à la culture anglaise. De nombreux auteurs se sont prêtés au jeu de la définition. Elizabeth Gaskell fait partie de ceux là lorsqu’elle fait dire à John Thornton qu’« un "gentleman" est un terme qui décrit un être uniquement dans ses rapports avec les autres ».9 Il nous est donc apparu que l’on ne pouvait traduire le « gentleman » anglais par le « gentilhomme » français puisque deux réalités différentes se cachaient derrière leur emploi. D’autre part, traduire par un simple « monsieur » ne pouvait être qu’une sous traduction de tout ce que peut impliquer le terme. En ce qui concerne l’abréviation « Mr. », son homologue français n’aurait pas été gênant mais dans le but de conserver cette couleur locale ainsi que solidifier la couleur locale qu’apportait le choix du terme de « gentleman », on a préféré conserver l’abréviation anglaise. Ce choix s’est aussi fait en intelligence avec le texte ; la mention de « the statue of Mr. Canning »10 au douzième paragraphe apparaît presque comme un lieu commun. La statue n’est, en effet, déjà plus une simple représentation de Georges Canning mais bien un objet, en elle-même et pour elle-même, au point que l’abréviation de « Mr. » en devient partie intégrante.

Au regard de ces explications, un problème d’uniformité dans nos choix de traduction s’est posé pour certains termes, tels que « inch » ou « lady », qui nous ont forcé à faire des choix différents. Dans la mesure où l’on a choisi de conserver la mesure « miles », on peut se demander pourquoi nous n’en avons pas fait autant pour « inch » qui correspond à 2, 54 cm selon le Robert & Collins11. Notre décision a été motivée par deux raisons. Tout d’abord, puisque la mesure n’est pas aussi connue que le « miles », la laisser en l’état apporterait davantage « l’étrangeté » dont parle Antoine Berman dans son ouvrage, L’Epreuve de l’étranger, plutôt que « l’étranger » recherché par notre horizon de traduction. Ensuite, contrairement au « miles », la mesure correspond à la valeur française précise qu’est le pouce. Nous nous sommes donc permis cette légère annexion du fait de cette heureuse correspondance qui permettait à la fois de ne pas gêner la lecture ni de l’encombrer d’une note de bas de page.

Ce problème d’uniformité s’est également posé concernant le terme de « lady ». En effet, contrairement au « gentleman », le substantif correspond assez bien à notre terme français de « dame » sans qu’une distinction entre les cultures source et cible soit flagrante. Selon Le Petit Larousse illustré, le substantif « dame » renvoie à un « « titre donné à diverses époques aux femmes de haut rang, [à une] femme aux manières élégantes, distinguées »12 ; lorsque le nom « lady » renvoie à une femme dont les manières et la sensibilité vont de paires avec un rang élevé dans la société, selon le dictionnaire étymologique de la langue anglaise13. On a donc jugé bon, comme dans le cas de « inch », d’employer cette heureuse correspondance afin de ne pas perturber inutilement la lecture par l’intrusion de termes étrangers.

Malgré notre horizon de traduction, on a néanmoins rencontré des difficultés pour traduire quelques syntagmes. En effet, certains éléments paraissaient trop éloignés de la culture cible pour être laissés tels quels dans la nouvelle sans qu’il y est une rupture à la lecture. D’autres renvoyaient à des réalités bien précises qu’il nous était impossible de rendre de façon aussi directe. De fait, certains syntagmes ne nous permettent pas de produire des équivalences directes. On peut, tout d’abord, mentionné au deuxième paragraphe :
The pretty speckled beans of the scarlet runners were our counters
Que l’on a choisi de traduire par :
Les jolies fèves tachetées des haricots d’Espagne étaient nos jetons
Le problème qui se pose ici est double. Il réside, d’abord, dans les appellations strictement différentes du même végétal. « The scarlet runners » en anglais ne peut faire l’objet d’une traduction littérale ; l’adjectif « scarlet » renvoie à la couleur écarlate alors que « runner bean » correspond, selon le Robert & Collins, au « haricot grimpant ». Pour être tout à fait précis, « scarlet runner » est une variété des « haricots d’Espagne ». Cependant, comme cet élément ne peut être parlant qu’à une personne ayant les connaissances botaniques nécessaires, on a préféré faire le choix de son hypéronyme, haricot d’Espagne, pour ne pas encombrer la lecture d’une note de bas de page. On aurait pu, néanmoins, choisir de traduire « scarlet runners » par « haricots écarlates », ce qui aurait rendu la couleur présente dans l’adjectif anglais « scarlet », mais ce syntagme nominal, une fois traduit, heurtait quelque peu la lecture en français. D’autre part, nous nous sommes cantonnés à l’appellation « haricots d’Espagne » car elle était beaucoup plus commune, ne nécessitant donc pas l’intrusion d’une note de bas de page. Le second problème, qui est venu se superposé, concernait la manière de traduire « beans » après le choix de traduire « scarlet runners » par « haricots d’Espagne ». Le français ne supportant pas la répétition, il nous a fallu puiser dans la synonymie du terme pour résoudre la difficulté apportée par la traduction et faire, finalement, le choix du substantif « fèves ».

Dans le même esprit, on a longuement hésité sur la façon de traduire en français « 'Balmoral' boots », au neuvième paragraphe. Il semblait, d’abord, difficile de conserver le terme « Balmoral ». Nous craignions qu’il n’apporte de l’étrangeté dans le texte et nous avions d’avoir décidé de jouer sur l’hypéronymie en ne traduisant que le terme de « bottines ». En effet, l’appellation « Balmoral » renvoie à une forme de chaussures. Cependant, après réflexion, nous sommes revenus sur cette décision première, la jugeant trop arbitraire. Supprimer le terme « Balmoral » sans état d’âme revenait, en effet, à priver le lecteur d’un détail qui fait sens. Cela revenait également à nier ce que nous nous efforcions de mettre en exergue depuis le début, c'est-à-dire montrer à quel point le texte était ancré dans une époque bien particulière. En effet, « 'Balmoral' boots » fait référence à un type de chaussure qui, encore de nos jours, emprunte sa forme à l’époque victorienne. De fait, pour avoir fait le test, lorsque l’on tape dans la barre de recherche l’entrée « bottines Balmoral », on trouve une correspondance visuelle assez significative pour nous permettre de conserver l’expression telle quelle. On a, néanmoins, cru nécessaire de préciser ces éléments dans une note de bas de page pour laisser à la curiosité du lecteur le choix de s’offrir ou non le luxe de savoir à quoi les « bottines Balmoral » font visuellement référence.

D’autre part, au quatrième paragraphe, les realia nous ont posé deux autres types de problème dans la phrase suivante :
Exhausted nature does, I must say, crave for some refreshment beyond the thin biscuits and weak negus which are served out in the china closet down-stairs, on such occasions at these festive mansions.
Que l’on a choisi de traduire par :
Les faibles constitutions ont, je dois dire, grand besoin d’une collation autre que de maigres biscuits et un léger vin chaud que l’on sert dans le placard à porcelaine de Chine en de telles occasions dans ces demeures en fête.
En ce qui concerne le groupe nominal « weak negus », nous ne pouvions nous permettre de conserver le terme de « negus » en l’état car, avant même qu’il soit question d’insérer de l’étrangeté dans le texte, le terme pouvait devenir un contre-sens terrible en français. En effet, si l’on s’attarde sur la définition que l’on trouve sous cette entrée dans Le Petit Larousse Illustré, « négus » est mot éthiopien qui, historiquement, correspond au titre des souverains d’Éthiopie. Il aurait donc été mal aisé de conserver le terme même avec une note, la lecture aurait été parasitée d’un autre niveau de sens complètement incorrect. Le sens véritable du terme de « negus » correspond, selon The Shorter Oxford English Dictionnary On Historical Principles, à du vin et de l’eau chaude sucrée et aromatisée avec du citron et des épices. Il prend son nom par son inventeur, le colonel Francis Negus en 1743. Au regard de ces informations, on peut noter que le nom du colonel était assez répandu pour entrer dans le langage courant et être employé dans la littérature. Ces observations nous mettent, à nouveau, face au fait que notre nouvelle est extrêmement ancrée dans son époque. Cela étant dit, au regard de cette définition, on a pu s’apercevoir que le « negus » avait de fortes ressemblances avec ce que nous appelons, en français, le vin chaud. Nous nous sommes donc permis cette d’annexer le terme de « negus » par cet équivalent français. Néanmoins, il nous a semblé juste de prendre le parti de proposer une note de bas de page à valeur informative en cohérence avec notre projet de traduction puisque le terme nous renvoyait indéniablement vers une réalité anglaise spécifique.

En ce qui concerne le groupe nominal « the china closet », le problème a été tout autre. Le substantif « closet » signifie « armoire », « placard » ou « buffet ». Selon The Shorter Oxford English Dictionnary On Historical Principles, le terme « china » fait particulièrement référence à la porcelaine importée de Chine. La difficulté de traduction se trouve donc au niveau de la différence entre la réalité victorienne et la réalité actuelle. De nos jours, l’ensemble nominal ne correspond qu’à un simple placard à porcelaine de provenance quelconque alors qu’à l’époque victorienne, apogée de l’Empire coloniale britannique, le terme « china » renvoie spécifiquement à la porcelaine provenant de Chine. Pour cette raison, nous nous sommes proposés de traduire « the china closet » en étoffant en français par « le placard à porcelaine de Chine ». Malgré la lourdeur qu’apporte le complément du nom par rapport à la simplicité du syntagme anglais, il nous est apparu nécessaire de traduire ainsi pour mettre en exergue cette dimension historique si importante.

Ainsi, au terme de ce premier relevé des problèmes posés par la traduction, on obtient tout d’abord la confirmation que notre nouvelle s’inscrit dans une culture victorienne datée. Celle-ci s’identifie dans certains des termes employés comme dans certaines des références littéraires qui sont faites. On a, tout au long de ce travail, tenté de rendre compte le plus possible de ces traits culturels qui caractérisent la nouvelle. Dans ce but, il nous a fallu délimiter ce qui marquait l’étranger et ce qui nous attirait vers l’étrangeté. On a, cependant, eu à cœur de révéler systématiquement par une note ce qui, par notre traduction, pouvait échapper à l’attention du lecteur du texte cible.

Problèmes de traduction relatifs à la langue


Dans la préface de sa traduction de L’Agamemnon, Wilhem Won Humboldt écrit que « des langues différentes sont […] comme autant de synonymes ; [que] chacune exprime le concept avec une différence, avec telle ou telle connotation, un degré plus haut ou plus bas sur l’échelle des sentiments ». Il nous soumet ici une vision intéressante des langues, comme si elles proposaient des grilles de lecture différentes. Ces propos nous suggèrent également qu’on ne peut jamais dire tout à fait la même chose et que, pour permettre le passage d’une langue à l’autre, la traduction est faite de compromis. En effet, placer devant l’exercice pratique, on constate qu’il est impossible de tout rendre littéralement et que certains problèmes de traduction sont finalement inhérents à la langue anglaise même et la tentative de passage vers le français.

Évolution de la langue anglaise


Le dernier exemple que nous venons de traiter dans la partie précédente nous a ouvert le champ vers un nouveau point de traduction qui oscille entre culture et évolution historique de la langue. On trouve parfois dans notre nouvelle des marqueurs temporels linguistiques qui sont si spécifiques à l’évolution de la langue anglaise que l’on ne peut pas les rendre en français. On peut ainsi relever dès le premier paragraphe :
It has happened that for the last five-and-twenty years
Que l’on a traduit par :
Il se trouve que, durant les vingt-cinq dernières années
Dans le texte source, on observe une inversion entre dizaine et unité qui témoigne d’une ancienne façon de se référer aux nombres. Cette inversion est datée dans le temps. Il est possible, par exemple, de la trouver dans certains romans de Jane Austen ou bien dans des discours politiques de l’époque. Songeons, en effet, que le 19 novembre 1863, Abraham Lincoln commence son discours de Gettysburg par la phrase « Four score and seven years ago […] »14. Toutefois, il paraitrait étrange et même insensé d’essayer de rendre cette structure en français. N’ayant donc pas d’équivalent français à cette particularité de la langue anglaise, nous nous sommes contentés de souligner le phénomène par une note de bas de page explicative. On aurait pu ne pas le signaler mais cette manière d’écrire les nombres rend compte de l’âge de notre nouvelle et contribue à l’ancrer dans l’époque victorienne.
L’évolution de la langue ne s’insinue pas seulement dans les nombres mais aussi dans l’emploi de termes qui ont des effets archaïques ou formels. On peut, en effet, considérer le substantif « aught » au dixième paragraphe qui signifie « tout », « n’importe quoi » :
Few among them were readers (at least of aught but novels and poetry)
Que l’on a traduit par :
Peu d'entre elles étaient des lectrices (du moins d’autre chose que de romans et de poésie)
Le substantif est un terme ancien qui fut employé par des auteurs comme, par exemple, William Shakespeare. Il a, cependant, le même sens que « anything » ou « all ». En français, on ne peut pas marquer l’archaïsme langagier si propre à l’anglais. Nous nous sommes donc concentrés sur le fait de rendre le sens plutôt que la forme archaïque. Le substantif « aught » entre dans une structure avec la conjonction « but » qui exprime une restriction. On a donc fait le choix, en français, du syntagme nominal « autre chose » qui nous paraissait davantage plaisant à la lecture. Cette composition nous semblait aussi plus soutenu et moins abrupte qu’une traduction telle que « tout sauf de ».
Dans ce même esprit, on peut observer l’emploi de termes vieillis comme, par exemple, dans le premier paragraphe :
But circumstances have combined to keep me and my dear wife and family in a remote corner of this busy England whereto the clash and clamour of its onward progress has penetrated but imperfectly, and wherein our experience of society has been limited in extent and primitive in quality.
La conjonction anglaise « whereto » est un équivalent archaïque de « to which » alors que « wherein » est un équivalent littéraire et formel de « where ». On ne possède pas de correspondances en français pour ces conjonctions qui rendrait leur aspect ancien, littéraire et formel. En effet, les termes français étant fondamentalement neutres, il parait difficile de rendre compte de cette spécificité anglaise. On a donc pris le parti de traduire simplement les termes par :
Mais les circonstances se sont alliées pour me tenir ma tendre épouse, ma famille et moi-même dans un coin reculé de cette Angleterre grouillante d’activités, dans lequel le fracas et la clameur de sa marche en avant ont percé que de façon imparfaite, et notre expérience de la société a été d’une étendue limitée et d’une qualité sommaire.
La perte de ce registre littéraire et soutenu peut, néanmoins, être compensée par l’usage à d’autres moments dans la nouvelle d’un vocabulaire plus élevé. En ayant à l’esprit cette déficience engendrée par la langue française par rapport à la langue anglaise, on a tenté d’en rendre compte en relevant le niveau de langue sur certains termes de la nouvelle. On peut, pour illustrer cette idée, prendre l’exemple au quatrième paragraphe de la phrase suivante :
And exhausted nature does, I must say, crave for some refreshment beyond the thin biscuits and weak negus
Au lieu de traduire « refreshment » par le terme banal et prosaïque qu’est « nourriture », nous avons pris le parti de traduire le substantif anglais par celui de « collation ». Plus soutenu que le terme de nourriture, le substantif apporte également une dimension plus mondaine qui colle au contexte de la nouvelle.

Un dernier point linguistique peut être, enfin, mis en exergue. Il témoigne à la fois de l’influence de l’Histoire et de la culture sur le langage mais aussi de l’écart qui peut exister entre deux langues sur la façon de percevoir le monde. Certains termes que l’on peut relever dans notre nouvelle se font, parfois, l’expression d’une culture anglaise. On trouve, en effet, au deuxième paragraphe :
Our utmost dissipation […] consisted in going to tea among our one or two neighbours
Que l’on a proposé de traduire par :
Notre plus grande distraction […] consistait à aller prendre le thé chez un de nos deux ou trois voisins
Notons, avant tout, que le syntagme verbal « to consist in » est d’un usage formel sans être archaïque. On ne trouve pas d’équivalence en français puisque notre syntagme verbal « consister à » est plutôt neutre. En anglais, le verbe qui suit le syntagme « consist in » est forcément mis à la forme –ING. En français, le syntagme est suivi par l’infinitif d’où notre traduction de « going to », originellement « to go to », en « aller à ».

Néanmoins, ce qui nous intéresse particulièrement dans cet exemple est le rapport immédiat entre l’action d’aller et le substantif « tea ». Si l’on traduit littéralement, on obtient en français « aller à thé » qui est parfaitement incorrect. Cet exemple illustre à merveille l’idée que « tout vocabulaire exprime une civilisation »15. Popularisé Au 17e siècle par l’épouse du roi Charles II, Catherine de Bragance, le thé connait une explosion avec la révolution industrielle au 19e siècle. Notre nouvelle datant de 1859, on peut noter que la culture d’un peuple agit sur sa langue, sa façon de dire le réel. On est forcé, en français, d’étoffer l’expression anglaise car on ne peut pas rendre ce rapport direct que permet la langue anglaise. La langue française nous force à ajouter un verbe à l’infinitif pour amener le substantif « thé » ; notre choix s’est donc porté sur la traduction « prendre le thé », là où l’anglais se contentait seulement de « tea ».

Au final, on s’aperçoit qu’il nous est impossible de rendre ces détails de langage qui date pourtant le récit et participe à lui donner une identité culturelle. Les traits de caractères du texte original sont, en effet, balayés par la traduction. Les seules solutions qui nous sont laissées pour mettre en lumière ces caractéristiques sont nos tentatives de compensations, les notes de bas de page et ce commentaire de traduction.

Les expressions anglaises


Une part des difficultés de la traduction réside dans la manière de rendre certaines expressions qui sont propres à la langue anglaise.

Une fois encore, la façon de dire est l’expression d’une vision du monde. Toutefois, pour une grande partie de ces difficultés, des « équivalences idiomatiques »16 en français peuvent être trouvée. Songeons ainsi à l’expression, au neuvième paragraphe, « it has has its day » que l’on a choisi de traduire par « il a fait sont temps » ou bien, au dix-huitième paragraphe, l’expression « Alas, the days! » que l’on a décidé de traduire par « Hélas, quelle époque ! ». Dans ces types de cas, on s’est aperçu que les expressions figées anglaises pouvaient trouver leurs pareils dans des expressions françaises sans grande contrariété. En effet, on comprend ici que une traduction au mot à mot n’aurait pas de sens en français.

Pour le reste, il semblerait que des « équivalences indirectes »17 soient notre seul moyen de rédemption. « Je n’ai pas cru nécessaire de rendre mot pour mot ; c’est le ton et la valeur des expressions dans leur ensemble que j’ai gardés »18 préconisait Cicéron dans De optimo genere oratum. Ainsi, dans certains cas, on a été forcé de traduire le sens plutôt que les mots pour éviter de tomber dans l’ « étrangeté » ou bien d’être confronté à un malaise à la lecture de la traduction française. Pour illustrer ces idées, On peut prendre, en premier exemple, l’expression que l’on trouve au septième paragraphe :
Many a day she has asked me to play 'The Thorn' and 'The Manly Heart' six or seven times over.
Que l’on a traduit par :
En maintes occasions, elle m’a demandé de jouer « The Thorn » et « The Manly Heart » six à sept fois.
L’expression « many a days » est une expression figée qui possède un effet ancien pour le lecteur anglais. Elle ressemble à l’expression moins datée de « many a time » qui signifie « maintes fois ». On s’aperçoit que la traduction française de celle-ci possède des résonnances anciennes qui conviennent assez bien à l’expression présente dans notre nouvelle. Cependant, si l’on observe attentivement la suite de la phrase, on constate que le substantif féminin « fois » doit être employée par le terme de « times ». Une répétition inexistante en anglais, et peu heureuse en français, voit alors le jour. Pour cette raison, nous n’avons pas pu traduire « many a days » simplement par « maintes fois ». On a donc pris le parti de remplacer le substantif féminin, qui marquait l’unité, par le substantif féminin « occasion » qui peut être employé pour déterminer les circonstances d’un événement ou une action comme c’est le cas ici. Le terme de circonstance renvoyant lui-même à une idée de temps, de moment que l’on a dans le substantif anglais « days » qui signifie « jours ».
Une autre expression anglaise nous pose à nouveau cette problématique de la littéralité. On peut, au neuvième paragraphe, prêter attention à l’expression suivante :
Young women […] have gone over in a body to the enemy
Que l’on a choisi de traduire par :
Les jeunes filles […] se sont rendues d’un même mouvement à l’ennemi
Au lieu de traduire littéralement « in a body » par « en un corps », on a préféré traduire l’idée sous-jacente de l’action effectuée, c'est-à-dire le mouvement du corps plutôt que l’objet lui-même. On a pris ce parti car la traduction littérale semblait maladroite à la lecture. Le calque de l’expression du texte source paraissait également beaucoup moins compréhensible dans le texte cible. La littéralité était ici témoin d’ « étrangeté ». On a donc préféré s’attacher au sens plutôt qu’aux mots en étoffant, cependant, par l’ajout de l’adjectif « même ».
D’autre part, il est aussi possible de constater l’existence d’expressions anglaises qui trouvent une équivalence idiomatique en français. En effet, certaines expressions anglaises trouvent parfois leur miroir dans une expression française qui a été, au préalable et arbitrairement, fixée. Songeons, pour illustrer cela, au troisième paragraphe :
When the free and easy invitation is accepted
Que l’on a choisi de traduire par :
Une fois que l’invitation décontractée et désinvolte est acceptée
Dans ce cas précis, la combinaison des deux adjectifs nous lancent sur la piste d’une traduction figée en française. Malgré les sens particuliers de chaque adjectif, leur combinaison décrit une attitude particulière qui est résumé par les ouvrages encyclopédiques par l’adjectif « décontracté ». Cependant, comme on le verra plus loin, cette structure formée par la coordination de deux éléments fait partie des emplois qui constituent le style propre à Mrs. Gaskell. Afin de conserver cet effet d’insistance suggérée par la structure, on a pris sur nous de traduire l’adjectif « easy » par l’adjectif français « désinvolte » et de le coordonner avec l’adjectif « désinvolte » pour rappeler l’existence de l’expression figée.

Les formulations anglaises et les contraintes françaises


Il nous faut, à présent, rendre compte du fait que certaines des difficultés rencontrées durant nôtre parcours nous venaient des formulations anglaises face aux contraintes liées à la langue française. Ces difficultés illustrent bien l’idée que les langues sont des grilles de lecture différentes. D’une part, le passage de d’une langue à l’autre mérite des ajustements au regard de règles qui leur sont inhérentes. D’autre part, des ajustements sont nécessaires pour produire une traduction qui se lit sans trop d’ambages une fois le travail fini.

Le premier point qui peut être mis en valeur est que l’on a parfois été confronté à des incompatibilités entre les deux langues, nous refusant ainsi une traduction littérale. En effet, certains termes nécessitaient parfois des transpositions grammaticales. On peut songer, pour illustrer cette idée, au treizième paragraphe :
And whose hair is arranged in a fashion suggestive of the very probable idea that they were called away just before achieving the desirable ceremony of washing their faces.
Que l’on a traduit par :
Et dont les cheveux sont arrangés d’une manière qui suggère l'idée très probable qu'elles ont été appelées ailleurs avant même d’avoir achevé la désirable cérémonie qui consiste à se laver le visage.
Dans ce passage, on a été forcé de transposer l’adjectif anglais « suggestive » par le verbe « suggérer » et l’accompagnant d’une proposition subordonnée. Il en va de même pour le verbe anglais « to wash », transformé en substantif par la terminaison –ING, que l’on a choisi d’étoffer et de transposer par le verbe à l’infinitif «  se laver ». Il s’agit du type de transposition le plus fréquent selon Claude et Jean Demanuelli. On aurait pu traduire par le substantif français de « lavage » mais le terme paraissait disgracieux à la lecture, ce qui allait à l’encontre du caractère littéraire et formel suggéré par certains des termes que l’on a évoqué précédemment.

D’autre part, une des difficultés les plus remarquables est intervenue sur les règles d’écriture du français qui entraient parfois en conflit avec le texte anglais. Songeons, tout d’abord, aux répétitions que fait la langue anglaise et que le français supporte très mal. On peut, ainsi, prendre pour exemple le passage suivant au deuxième paragraphe :
What excitement there used to be over those momentous stakes, and what laughing and fun!
Que l’on a choisi de traduire par :
Quel engouement pouvait-on voir concernant ces enjeux momentanés et quels rires, quel amusement !
Comme le français n’aime pas la répétition, la copule « and » est l’un des problèmes les plus importants. En effet, on note que l’anglais a une tendance très prononcée pour son utilisation là où le français préfère l’usage de la virgule. Une négociation doit donc être faite selon les passages. Si on a opté ici pour suivre les règles d’écriture française, ce choix n’a pas été systématique car l’idée de négociation a été le maître mot de nos décisions. Il nous a paru, en effet, important de prendre en compte le contexte du passage à traduire afin d’éviter d’amputer notre traduction d’éléments qui faisaient sens dans le texte source. On a pu, par exemple, faire un choix quelque peu différent au dix-septième paragraphe :
Yes, though in the midst of a brilliant crowd, and with the hum and buzz of conversation, and music, and laughter thrilling around me, I confess I felt a strange sense of loneliness creep over me
Que l’on a décidé de traduire par :
Oui, bien qu’en brillante compagnie, dans la rumeur des conversations en cours, et la musique, et les rires animés tout autour de moi, j’avoue avoir ressenti un étrange sentiment de solitude s’insinuer en moi
Si l’on a supprimé la première conjonction de coordination, on a pris garde de conserver les suivantes pour conserver l’effet qu’elles produisaient dans le passage. En effet, si l’on s’attarde sur le contexte, on s’aperçoit que le narrateur se sent perdu, comme engourdi et confus. La copule « and » fait montre de cette confusion intérieure du personnage qui prend conscience de ce qui l’entoure sur un mode accumulatif. On a donc choisi de conserver les copules « et » dans notre traduction parce qu’au de là des règles d’écriture, dans ce cas précis, elles servaient le sens du texte en illustrant cet effet de confusion et d’accumulation ressenti par le narrateur.

À ce premier problème de répétition vient parfois s’adjoindre celui des règles de politesse typiquement française. On peut, ainsi, relever au premier paragraphe :
But circumstances have combined to keep me and my dear wife and family in a remote corner of this busy England
Que l’on a choisi de traduire par :
Mais les circonstances se sont alliées pour me tenir ma tendre épouse, ma famille et moi-même dans un coin reculé de cette Angleterre grouillante d’activités
Comme on vient de l’expliquer, le français supporte mal la répétition ; il est donc mal aisé de conserver ce dédoublement de la copule anglaise en français. De plus, à cette première constatation s’ajoute le fait qu’en français les règles de politesse place le pronom personnel accentué « moi » à la fin de l’énumération. Cela étant dit, pour ne pas trop offenser le texte source, on a employé le pronom personnel « me » pour rendre compte de cette place primaire en anglais.

Cet exemple illustre aussi l’une des grandes différences qui existe entre les deux langues : la capacité de l’anglais à dire beaucoup en peu de mot. En effet, lorsque l’anglais se contente d’un syntagme nominal composé d’un substantif et d’un adjectif, « busy England » ; le français se compose d’un syntagme complexifié d’un complément du nom, « Angleterre grouillante d’activités ». On remarque, ici, que pour rendre le syntagme apparemment simple de l’anglais, on a besoin de l’étoffer en français.

Cette capacité de l’anglaise est surtout perceptible lorsque l’on est forcé de traduire les particules anglaises telles que « in » ou « off ». Songeons, par exemple, au septième paragraphe :
Till we were summoned in and reprimanded for our imprudence!
Que l’on a décidé de traduire par :
Avant d’être rappelés à l’intérieur et réprimandés pour notre imprudence !
Cet exemple illustre à la fois le caractère bref et concis de l’anglais et sa capacité à dire beaucoup en peu de mots. On ne peut atteindre ce degré de concision en français ; on doit nécessairement étoffer la particule par une préposition et un substantif. Ainsi, du fait de cette différence des langues, il est impossible de fournir un calque qui serait d’une fidélité absolue, ce qui provoque la nécessité de faire un choix entre forme et fond. On ne peut, effectivement, pas garder la concision de l’anglais sans risquer de perdre le florilège de sens qu’implique l’emploi de certains mots. Toutefois, si cette capacité de l’anglais se retrouve à de nombreux endroits, elle apparaît davantage contrariante à certains endroits sur le plan de la traduction. En effet, avec un nombre de terme réduit, l’anglais dit et suggère plus. On peut, par exemple, relever au troisième paragraphe :
Nor do I now look wildly for supper towards the clock of these entertainments
Que l’on a pris le parti de traduire par :
Je ne jette également plus à présent de regards éperdus à la recherche d’une collation à l’heure habituelle où on doit trouver ces divertissements
Comme s’il manquait des engrenages pour que la machine fonctionne ; le français ne peut traduire littéralement. Il est, à nouveau, forcé d’étoffer la phrase anglaise. Le verbe « to look », qui signifie « regarder », allié la particule « for » prend le sens du verbe français « chercher ». Cependant, tout en revoyant à notre verbe français, il offre également l’image d’un regard qui cherche quelque chose. L’adverbe « wildly » est, dans ce cas, mis au sens figuré et signifie « frénétiquement ». Il s’applique à la manière dont le regard cherche la « collation ». Le français n’arrive pas à suivre l’instantanéité de la langue anglaise tout en conservant la polysémie qu’offrent les termes anglais. On est donc obligé lorsque l’on traduit cet ensemble d’étoffer quelque peu l’organisation par le syntagme verbal beaucoup plus dense qu’est « jeter des regards éperdus à la recherche de ». Tout d’abord, le groupe verbal « jeter des regards » rend compte de l’image du regard présent dans le verbe « to look ». L’adjectif « éperdu », ensuite, doit être pris au sens de vivacité extrême mais il rend également l’idée de violence qui est suggéré de façon primaire dans l’adjectif « wild », signifiant « sauvage », dont est dérivé l’adverbe. On opère également ici une transposition grammaticale de l’adverbe en adjectif. Enfin, le sens de l’ensemble verbal « to look for » est pris en charge par le syntagme prépositionnel « à la recherche de ». On a, ainsi, tenté de rendre justice à chacun des sens que suggérait l’anglais.
Il est, de plus, intéressant de distinguer une variable particulière de l’anglais. Mis en face de la langue française, l’anglais est plus direct et demande également moins de développement. Songeons, par exemple, au deuxième paragraphe :
And playing a rubber at whist in the evening; or at Christmas time. Around game at vingt-un or speculation for the children.
Que l’on a dû traduire par :
Et à faire une partie de whist durant la soirée, ou bien durant la Noël. Les enfants étaient autour d’un jeu tel que le vingt-un ou la spéculation.
On peut noter clairement que, dans la seconde partie de cet exemple, traduire mot à mot donnerai une phrase abrupte et maladroite en français telle que « Autour d’un jeu comme le vingt-un ou la spéculation pour les enfants ». Le passage au français nécessite donc un chassé croisé et l’ajout d’un verbe. « Les enfants », auparavant complément, sont devenus le sujet du verbe être afin de couler à la lecture de la traduction française.

Au terme de cette partie, on peut affirmer que les incompatibilités et les différences entre la langue anglaise et la langue française posent des contraintes de traduction qui ne sont pas négligeables. Elles nous forcent, en effet, à faire des choix et des compromis voir à compenser les pertes lorsque cela est nécessaire. Néanmoins, on peut remarquer qu’il est finalement impossible de tendre vers un calque de la forme sans endommager le fond.

Problèmes de traduction relatifs au style


Si les différences entre les langues en posent d’importants, les problèmes de traduction les plus délicats restent néanmoins ceux qui se rapportent à l’usage dont Mrs. Gaskell fait du langage, c'est-à-dire son style. L’une des problématiques traditionnelles du traducteur se pose à nous ; faut-il privilégier le fond ou la forme ? Le style est ce qui fonde l’identité littéraire de la nouvelle, ce qui appelle l’auteure Elizabeth Gaskell. Cependant, on a constaté précédemment que les langues n’étaient pas strictement équivalentes, que leurs incompatibilités nécessitaient d’entreprendre la « négociation » proposée par Umberto Eco. Le style est comme un niveau de complexité supplémentaire vient s’ajouter aux problèmes relatifs à la langue. Dans la mesure du possible, on tentera de ne pas s’éloigner du noyau de fidélité ; tout en gardant à l’esprit que pour obtenir quelque chose, il faut forcément renoncer à quelque chose.

L’expression d’un discours oral


Un des enjeux importants du texte original est la cohésion entre l’effet d’oralité et l’écrit. Le narrateur s’exprime d’une telle façon qu’il donne cette expression de s’adresser directement au lecteur. Si son discours est construit et empli de phrases expressives telles que des exclamations ou des questions rhétoriques, la nouvelle est tout de même le lieu d’une imitation de la parole. Concernant notre traduction, cela pose des problèmes au niveau de la longueur des phrases et de leur complexité qui se perdent dans le flot des paroles, mais aussi au niveau de la ponctuation et du rendu de l’oralité. Pour donner un exemple de la longueur de certaines phrases, on peut relever au huitième paragraphe :
The pretty ignorance, the fascinating helplessness, the charming unconsciousness that enslaved us bachelors of long ago - where are they all gone to? Where is the graceful weakness that appealed so eloquently to our awkward strength; where the delicious unreasonableness that so subtly flattered our logical profundity; where the enthusiastic romance that seemed expressly to temper and balance the matter-of-fact worldliness inevitable more or less to the nature of the masculine animal which has to work for its living? Where, I ask, in eager anxiety, for the sake of my six boys?
Que l’on a choisi de traduire par :
La délicieuse ingénuité, la fascinante dépendance, la charmante inconscience qui nous asservissaient, nous, les célibataires d’autrefois ; que sont-elles devenues ? est cette gracieuse faiblesse qui en appelait avec tant d’éloquence à notre force maladroite ? est la délicieuse absence de raison qui flattait avec tant de subtilité notre profondeur logique ? est le romantisme enthousiaste qui semblait expressément tempérer et contrebalancer le pragmatisme matérialiste plus ou moins inévitable chez l’animal masculin qui doit travailler pour subvenir à ses besoins ? , je vous le demande, avec ardeur et anxiété, pour l’amour de mes six garçons ?
Il apparaît en anglais que l’accumulation des interrogations impose une phrase longue de presque quatre lignes liées les unes aux autres seulement par un point-virgule. On a tenté de raccourcir les phrases qui devenaient maladroites en français tout en tentant de conserver le rythme donné par les pronoms interrogatifs. Pour cela, puisqu’il s’agit d’un texte qui joue sur l’oralité, on a préféré marquer la ponctuation par des points d’interrogation en lieu et place du point-virgule anglais. On conserve ainsi le rythme et l’accumulation tout en insistant sur l’aspect rhétorique en français grâce à la ponctuation. Du fait de cette insistance nouvelle qu’apportent les interrogations marquées en française, on s’est permis de diverger sur la traduction du premier « where are they all gone to? » en le traduisant par « que sont-elles devenues ? ».

On peut, également, prendre l’exemple de cette phrase complexe qui occupe une longue part du troisième paragraphe :
And no doubt it is simply natural that now we have temporarily emerged from our seclusion; now that we are in this great metropolis staying on a visit, and going about as country visitors usually do, doubtless, it is only to be expected that we should be very much astonished at many things we see - that we find nothing as it used to be, and are perpetually involved in bewilderments and perplexities.
Que l’on a tenté de rendre par :
Et sans doute, est-il naturel que maintenant que nous avons temporairement émergé de notre solitude, maintenant que nous sommes en visite dans cette grande métropole et que nous allons ici et là comme le font généralement les visiteurs venant de la campagne, oui sans doute peut-on s’attendre à ce que nous soyons extrêmement étonnés par nombres de choses que nous voyons ; à ce que nous ne trouvions rien tel que nous l’avions connu et que nous fussions perpétuellement saisis d’ahurissement et de perplexité.
Un déséquilibre peut, de toute évidence, être constaté dans la structure de cette longue phrase en anglais comme dans notre traduction française car les deux premières propositions attendent la conclusion aux observations qu’elles font. Cette conclusion est rejetée à la toute fin de cette longue phrase, ne venant qu’après l’ajout de deux autres propositions. Pour l’avoir proposé à des lecteurs, le passage pose problème à la lecture cependant au lieu de tenter de corriger le déséquilibre, on a préféré le laisser en l’état. En effet, cette accumulation a pour but de mimer l’oralité qui ne respecte pas strictement la structure des phrases. Elle rend également compte de l’état d’esprit de notre narrateur qui, ahuri et perplexe, se perd dans ces observations.

Toutefois, pour ne pas relever toutes les phrases concernées, on se permet ici de dire que l’on a parfois fait le choix de scinder en deux une phrase afin d’assouplir la lecture. En effet, après une traduction fidèle, on s’est aperçu au test de lecture par différents personnes que la longueur des phrases, qui passait pourtant en langue anglaise, heurtait et perdait l’attention du lecteur français. Lorsque cela n’avait pas d’incidence sur le contexte, on a fait le choix de scinder les phrases lorsque cela était vraiment nécessaire. Nous ne voulions, en effet, pas modifier au tord le style de Mrs. Gaskell. Là encore, une négociation a dû être faite entre le respect de l’auteur et le respect du lecteur car notre traduction avait pour but d’être lue et non pas de n’être qu’un simple exercice pratique. Dans certains cas, pour lever la difficulté due à la longueur et à la complexité de l’enchâssement de proposition, on a été forcé de modifier quelque peu l’ordre. Songeons, ainsi, au deuxième paragraphe :
People don't know the true worth of a pack of cards who have never lived in the country, five miles from a post town, and in the midst of a small social circle, wherein the desideratum is to obtain the greatest amount of amusement at the smallest intellectual expense.
Que l’on a finalement traduit par :
Qui n’a jamais vécu à la campagne à cinq miles du bureau de poste, et qui n’ont jamais été au milieu d’un petit cercle social dans lequel le desideratum est d’obtenir la plus grande part d’amusement avec la plus petite dépense intellectuelle, ne peut comprendre la véritable valeur d’un paquet de cartes.
Un renversement de la phrase était, ici, nécessaire en français pour qu’elle ait du sens et qu’elle puisse couler à la lecture. On a transformé le substantif « people », sujet de la proposition principale, par le pronom relatif « qui » suivi des propositions relatives. On a, ainsi, rejeté la principale en fin de phrase en français pour opérer un chassé-croisé.

En ce qui concerne à présent le rendu de l’expressivité de l’oral, des modifications ont parfois été nécessaires vis-à-vis de la littéralité afin de rendre l’oralité en français. On peut, en effet, relever au septième paragraphe :
There's enthusiasm and sentiment for you!
Que l’on a rendu par :
Voilà de l’enthousiasme et du sentiment à votre égard !
Au lieu de traduire littéralement par « il y a », on a considéré que l’adverbe « voilà » rendait bien compte de cette idée d’attirer l’attention du lecteur que l’on ressent dans le contexte. Il y a, en effet, quelque chose de démonstratif dans cette exclamation que la traduction littérale n’arrivait pas à traduire entièrement. Une différence d’expressivité s’est posée, cependant, durant la traduction de terme dans la courte partie de dialogue de la nouvelle. On peut, pour illustrer notre idée, prendre l’exemple de :
'Now, what did you suppose we were discussing?' a third asks me, laughingly
Que l’on a traduit par :
Eh bien, de quoi pensiez-vous que nous étions en train de parler ? me demanda une troisième en riant
L’adverbe anglais « now » a pour fonction, ici, d’insister sur la question qui va être posée ; cela aurait donc été une erreur de le traduire par « maintenant ». Cela étant dit, il nous a fallu chercher une équivalence idiomatique en français. L’interjection « eh bien » est, selon Le Petit Larousse Illustré, également utilisé pour accompagner une interrogation en français d’où notre choix. Notons, à présent, que les règles de ponctuation du dialogue diffèrent entre les deux langues et qu’une adaptation se devait d’être faite lors du passage de la langue anglaise à la langue française.

Ce besoin d’équivalence se retrouve, également, à d’autres passages et sous d’autres formes ; notamment dans la traduction de l’interjection anglais « ah » que l’on trouve, par exemple, au dix-septième paragraphe :
I marvelled if they would grow up into women, simply (ah, could they do better?) or if they would graft on to that fair heaven's work alien growths resulting in something strange and nondescript, like many of those I saw about me then.
Que l’on a rendu par :
Je me demandai si elles deviendraient un jour des femmes, tout simplement (mon Dieu, pouvaient-elles faire mieux ?) ou bien si elles grefferaient sur ce beau travail du Ciel d’étranges boutures qui produiraient quelque chose de bizarre et d’insipide, comme beaucoup de celles que je voyais à présent autour de moi.
Il est vrai que l’écart que propose notre traduction française vis-à-vis du texte source peut paraitre incorrect. Néanmoins, il nous est apparu que dans le contexte l’insertion de ce groupe nominal pour rendre l’interjection pouvait trouver son sens. En effet, puisque l’on trouve une mention au paradis, « heaven » que l’on a traduit par « Ciel », introduire ici « Dieu » ne nous a pas paru être hors de propos. Le substantif s’inscrivait, en effet, dans le contexte sans trop de gêne.

Pour en terminer avec ce point, il nous faut également aborder un passage qui nous a posé d’importantes difficultés. Ce début de paragraphe regroupait, de fait, les problèmes liés à l’oralité aussi bien qu’à la complexité des phrases. Relevons, en effet, au dix-neuvième paragraphe :
'Doubtless I shall be deemed illiberal in these lamentations. Doubtless the cry of my heart, Oh, for a little ignorance among women! oh, that their minds were not so expanded and their intelligence so developed!' sounds narrow, selfish, and shallow.
Que l’on a finalement traduit par :
Sans doute les lamentations que voilà seront-elles jugées intolérantes. Ah, sans doute le cri que je lance du fond du cœur, pour que les femmes gardent un peu d’ignorance, que leur esprit soit un peu moins évolué et leur intelligence un peu moins vive, sans doute, dis-je, cet appel paraîtra-t-il étroit, égoïste, et superficiel.
De nombreuses modifications ont dû être faites pour rendre correcte et lisible ce passage en langue française. De nombreuses pertes sont également à dénombrer. En effet, une perte d’expressivité et d’oralité était nécessaire car le français ne permettait pas la même malléabilité que la langue anglaise. On peut donc constater la perte de la ponctuation et la répétition de l’interjection « oh ». Le français nécessitait d’être étoffé par la présence une proposition et un verbe conjugué « que je lance » qui ne nous permettait plus d’insérer les interjections avec autant d’aisance que l’anglais. On a, cependant, tenté de palier cette déficience en proposant l’interjection « ah » en début de phrase pour rendre l’expressivité, et en répétant, à la fin, « sans doute, dis-je » pour rendre compte de l’oralité perdue avec la ponctuation.

Le sens ou les images ?


La couleur d’un style se perçoit également à travers les images qu’un auteur fait véhiculer par le langage. Toute la difficulté se pose quant à la capacité d’accueil de la langue cible. On a choisi d’exposer ici trois exemples représentatifs de la tension entre le sens et l’image. Prenons, tout d’abord, l’exemple du dixième paragraphe :
And occupying whole long mornings in crossing and re-crossing divers pages of fair paper with those long-tailed straggling characters of theirs.
Que l’on fait le choix de traduire par :
Et occupant de longues matinées entières à couvrir de long et en large diverses pages de papier blanc de leurs caractères allongés et épars.
On a ici, à notre disposition, deux syntagmes qui tentent de diffuser une image. Dans le cas de « in crossing and re-crossing », Mrs. Gaskell rend par les mots ce que l’on trouve dans certaines correspondances. En effet, sur un même papier, l’épistolier écrit à l’horizontale puis à la verticale, formant ainsi le motif de croix là où les lettres se rencontrent. Pour en revenir cependant à la terminologie, le verbe « to cross » signifie « traverser », « croiser ». Le substantif « cross » renvoie lui-même à la croix. La structure, qui allie la conjonction de coordination « and » et le préfixe « re », provoque un effet d’insistance comme si l’action était répétée jusqu’à ce que la page soit totalement pleine. Le problème qui se pose en français est que nous n’avons pas d’équivalent à cette réalité épistolaire. Traduire par « croiser et re-croiser diverses pages » n’aurait aucun sens pour un lecteur français puisqu’elle ne renverrait à aucune réalité visuelle comme c’est le cas en anglais. Il apparaissait donc nécessaire d’en proposer une équivalence indirecte. On a fait le choix de l’expression « de long en large » parce qu’elle appelait le mouvement et le visuel auquel se référait Mrs. Gaskell. De plus, l’expression renvoyait aussi à une idée de totalité que véhiculait l’insistance de la structure. Ce choix peut aussi s’expliquer par le fait que cela se réfère indirectement à l’expression plus complète « en long en large et en travers » qui se veut mettre en valeur une certaine minutie, précision dans l’action entreprise. Dans le contexte de ce passage, Mrs. Gaskell met un point d’honneur à souligner l’attention portée par les femmes à l’activité puisqu’il est dit qu’elles se retiraient dans leur chambre et passaient des matinées entières à cette occupation. On a, néanmoins, dû étoffer l’expression anglaise par l’ajout du verbe « couvrir » à l’infinitif. Là encore, on s’aperçoit de la capacité de l’anglais à dire beaucoup avec un nombre de mot réduit.

Dans le cas de « those long-tailed straggling characters of theirs », on peut noter que l’image de la queue transmise par l’adjectif anglais « tailed » se perd avec le passage d’une langue à l’autre. En effet, un choix entre sens et image s’est imposé à nous. On a préféré privilégier le sens et l’aspect court de la formule en reliant les deux adjectifs par la conjonction de coordination « et », plutôt que de rendre l’image. Dans ce choix est rentré en jeu le fait que nous ne voulions pas être forcés d’étoffer en français pour rendre une image qui n’existait que pour décrire la forme de la calligraphie que pouvait très bien rendre les adjectifs français. De plus, les longueurs d’une comparaison que nous aurait soumise la langue française paraissait empiéter sur le caractère bref de l’anglais. L’image de la queue nous apparaissait davantage secondaire dans la mesure où la coordination des deux adjectifs rendait déjà compte de cette description de la calligraphie.

À ce même dixième paragraphe, on peut également constater que la description visuelle suggérer par « crossing and re-crossing » se prolonge en se référant à la même réalité :
Innocuous platitudes in these latticed-worked epistles
Que l’on a choisi de traduire par :
Les banalités inoffensives dans les croisillons de ces missives
L’expression « lattice-work » désigne en anglais les treillages ou bien les croisillons d’une fenêtre. Il s’agit là d’une nouvelle image pour rendre compte visuellement du motif de croix qui se dessine sur les lettres. On a donc voulu conserver cette mention de « croisillons » qui illustrait davantage le motif de la croix que notre choix de traduire « in crossing and re-crossing » par « de long en large ». Cependant, comme il est question d’une réalité anglaise, on a eu peur que le terme de « croisillon » ne soit pas compris. Ainsi, on a pris le parti d’ajouter en bas de page une note explicative dans laquelle un renvoi à l'exemple concret qui suit :


Heureusement, certaines images trouvent des équivalences nous permettant ainsi de rendre davantage justice à Mrs. Gaskell. Songeons, par exemple, au dix-septième paragraphe :
Will politicians, like that one in pink silk there, who I am told, understands the state of foreign affairs as well as any man living, continue to boast the fresh, shell-like complexion, the lustrous eyes, the winning dimples on the cheek, that I see now?
Que l’on a choisi de traduire par :
Est-ce que les politiciens, comme cette jeune fille en soie rose ici, dont on me dit qu’elle comprend l’état des affaires étrangères aussi bien qu’un homme, continueront à pouvoir se vanter d’avoir le teint frais et nacré, le regard brillant et les fossettes triomphantes que je vois à présent ?
Si le substantif « shell », qui signifie « coquille », subit une transposition grammaticale avec l’emploi de l’adjectif « nacré » dans notre traduction, il garde néanmoins les mêmes propriétés et le même pouvoir évocateur. En effet, l’adjectif français provient du substantif « nacre » qui est la substance dure et blanche qui tapisse la face interne des coquillages. Malgré un léger décalage, on constate que l’adjectif français rend assez bien compte de la comparaison anglaise que supposait la préposition « like ». Cette transposition a aussi pour but de conserver le caractère bref et succinct de la langue anglaise. À partir de là, il nous était possible en français de remplacer la virgule anglaise, qui liait l’adjectif « fresh » et le substantif « shell », par la conjonction de coordination « et » puisqu’il était désormais question de coordonner deux termes d’une même catégorie grammaticale. 

Des effets de structure


L’exemple de « in crossing and re-crossing », au dixième paragraphe, a souligné l’importance des effets de structure dans la nouvelle. On retrouve, en effet, un travail sur celles-ci qui est révélateur du style de Mrs. Gaskell mais qui peut, aussi, parfois être problématique à rendre en français.Pour l’avoir évoquer précédemment, il est possible de distinguer, tout d’abord, l’emploi récurrent d’une structure se basant sur la coordination deux éléments par l’usage de la copule « and ». Cette structure met en parallèle deux termes, souvent de deux adjectifs, qui sont très proches voir presque des synonymes l’un de l’autre. Songeons, pour illustrer cette idée, au septième paragraphe :
Then how shy and timid she was!
Que l’on a fait le choix de traduire par :
À quel point alors elle était timide et réservée !
On peut très clairement noter la similitude des deux adjectifs en anglais. Notre travail de traduction a donc consisté à trouver deux adjectifs aussi proches en français afin de conserver l’effet d’insistance que suggérait la structure employée par Mrs. Gaskell. Notre choix a, cependant, été différent pour l’exemple suivant, au dix-septième paragraphe :
Yes, though in the midst of a brilliant crowd, and with the hum and buzz of conversation, and music, and laughter thrilling around me, I confess I felt a strange sense of loneliness creep over me
Que l’on a choisi de traduire par :
Oui, bien qu’en brillante compagnie, dans la rumeur des conversations en cours, et la musique, et les rires animés tout autour de moi, j’avoue avoir ressenti un étrange sentiment de solitude s’insinuer en moi.
Les deux substantifs renvoient à des sons tels que le bourdonnement ou bien le fredonnement. Ils sont ici employés pour qualifier les bruits qui entourent le narrateur et qui proviennent de la foule au milieu de laquelle il se trouve. Pour une fois, le français détient un terme capable de rendre ce que l’anglais essaye de signifier par ce double emploi. En effet, le substantif français « rumeur » renvoie à un ensemble confus de bruits, de sons, de voix provenant d'un lieu où de nombreuses personnes sont rassemblées. Le terme adhère à merveille au contexte du passage. D’autre part, au sens littéraire, le substantif rend également compte du caractère indistinct que le bourdonnement suggérait.

Un autre type de figure de style demandant un effort de traduction peut être, ensuite, mis en exergue. Il est, en effet, possible de distinguer un parallélisme qui se dessine par l’usage de structures en miroir opposant deux ensembles. La difficulté qui s’est imposé à nous tournait autour du fait de rendre la structure de telle sorte qu’elle reste correcte et compréhensible. Il fallait également qu’elle n’oppose pas de problème à la lecture. Pour illustrer cette difficulté, on a sélectionné deux exemples révélateurs. On peut, tout d’abord, relever au quatrième paragraphe :
There - the scarcity always was of people to partake, and not of things to be partaken.
Que l’on a traduit par :
Là, il y avait toujours trop peu de convives pour les mets, et trop de mets pour les convives.
Ce premier exemple illustre le fait qu’une fidélité littérale aurait semblé imprécise et maladroite en français. L’anglais peut se permettre d’être vague en employant des termes tels que « things », là où le français nécessite d’être plus explicite. On a donc cherché une structure équivalente dans le rythme et le parallélisme, ce qui nous a menés à m’être de côté le jeu sur la voie active et passive du verbe « to partake », qui signifie « participer », « prendre part », en le remplaçant par un jeu entre les adverbes « peu » et « trop ». Ces adverbes ont aussi eu pour vocation de rendre le sens perdu du substantif « scarcity » qui signifie « rareté », « pénurie ». Le choix du substantif « mets » s’inscrit dans la lignée de ce que l’on a pu dire précédemment lors du traitement de l’évolution de la langue. En comparaison au substantif « chose », le terme de « met » compense la perte du registre ancien et soutenu que l’on ne pouvait pas rendre pour les conjonctions anglaises. On peut, ensuite, songer à prendre notre second exemple au dix-septième paragraphe :
With the chivalric deference that conscious strength always feels to conscious helplessness?
Que l’on a choisi de traduire par :
Avec la déférence chevaleresque que l’être conscient de sa puissance ressent toujours envers l’être conscient de sa faiblesse ?
La traduction du parallélisme de cet exemple apparaît moins altérable que celui de l’exemple précédent. Cependant, on peut à nouveau prendre note du fait que le français nécessite d’être étoffé pour rendre l’expression anglaise. En effet, lorsque l’anglais se contente d’un adjectif et d’un substantif, le français nécessite tout un groupe nominal se composant d’un premier substantif, « être », suivit d’un adjectif, « conscient », et pour finir d’un complément du nom. Malgré cet ajout, on a tenté de préserver le parallélisme en mettant en miroir les deux mêmes structures n’altérant que le substantif présent dans le complément du nom.

Ainsi, dans la mesure du possible, on a tenté de conservé les structures et les figures stylistiques employées par Mrs. Gaskell. Cependant, la pratique de la traduction nous montre qu’il n’est pas toujours aisé de les rendre à la lettre. Puisque les modifications et les changements sont inévitables, on a fait en sorte de toujours traduire l’esprit au défaut de pouvoir rendre la lettre.

Des jeux avec les mots


Notre nouvelle est chargée de jeux sur les mots et leurs sens. Certains sont riches d’une signification qui fortifie les grands thèmes de la nouvelle ; d’autres apportent une polysémie intéressante au niveau du contexte particulier.

On peut, avant tout, relever le jeu onomastique présent dans « Slowington » que l’on peut décomposer en deux termes : « slowing » et « ton ». Après vérification, on a pu constater que le nom de « Slowington » ne renvoyait à aucune ville véritable. En effet, littéralement, le terme de « slowing » signifie « ralentissement », « lenteur ». Ce substantif est formé grâce à la désinence –ING et provient de l’adjectif anglais « slow » qui signifie « lent ». Notons, qu’il existe également un verbe à particule « to slow down » qui veut dire à son tour « ralentir ». Le suffixe « ton » est un raccourci du substantif « town » dont la lettre « w » est tombée avec l’usage. Le substantif signifie « ville » mais peut aussi être employé pour se référer à un « village ». Ce dernier sens serait, cela étant dit, davantage cohérent avec le contexte de notre nouvelle puisqu’il est question de « country visitors » que l’on a fait le choix de traduire par « les visiteurs venant de la campagne ». L’ensemble nous présente donc l’image d’un village qui vivrait au ralenti, hors du déroulement ordinaire du temps. Ce jeu onomastique s’inscrit dans la continuation du mode de pensé de notre narrateur.

Malgré la richesse de ce jeu onomastique, contenu de notre projet de traduction, il n’apparaissait pas cohérent de traduire le nom du village de notre narrateur. Cela serait revenu à annexer la simulation du réel que propose Mrs. Gaskell avec le nom de « Slowington ». Ce nom participe, en effet, à rappeler la couleur étrangère de notre nouvelle. Néanmoins, le sens qu’apporte l’onomastique méritait d’être porté à la connaissance du lecteur. Pour ce faire, on a fait le choix d’insérer une note de bas de page pour rendre compte de ce jeu sur le sens.

Un autre syntagme rendant compte de ce que le jeu sur le sens des mots apporte aux thèmes mérite d’être mis en exergue. Songeons, en effet, au onzième paragraphe :
To be regarded with awe by all men
Que l’on a choisi de traduire par :
Considérés avec un respect mêlé de crainte par tous les hommes
Le substantif « awe » peut faire référence à un respect mêlé d’admiration ou de crainte. Ce terme est une façon pour Mrs. Gaskell de jouer d’ironie en mettant en un mot l’ambiguïté des points de vue masculin et féminin. En effet, le narrateur met exergue que les hommes doivent percevoir les femmes avec une certaine crainte, d’où le titre de la nouvelle, alors que les femmes cherchent à être perçues avec respect et admiration. Le problème de traduction qui se pose est que, dans le contexte, c’est un respect de crainte qui est mis en valeur par notre narrateur qui est lui-même un homme. On a donc choisi de traduire avant tout ce premier sentiment en songeant que l’étoffement nécessaire en français pour rendre le substantif « awe » accorderait l’aspect positif recherché par les femmes à travers le substantif français « respect ». En effet, le respect peut renvoyer à un sentiment de vénération qui se rapproche assez bien du sentiment d’admiration suggéré par le substantif « awe ».

Il nous faut, à présent, traiter la seconde catégorie de jeu qui se porte sur une polysémie intéressante au niveau du contexte particulier. On se doit d’avouer ici une perte conséquente du fait des différences entre les langues française et anglaise. En effet, la polysémie présente dans les expressions anglaises doit parfois être sacrifiée au profit du sens général. On peut ainsi, tout d’abord, songer au treizième paragraphe :
Their flower - decked heads nodding and tossing with charming impetuosity, and their little gloved hands gesticulating with fans, bouquets, and handkerchiefs.
Que l’on a traduit par :
Leurs têtes coiffées de fleurs s’agitaient en tous sens avec une charmante impétuosité et leurs petites mains gantées manipulaient des éventails, des bouquets, et des mouchoirs.
Pour comprendre l’ampleur de la perte, il nous faut d’abord préciser la signification des verbes anglais « to nod » et « to toss ». Le verbe « to nod » renvoie, en effet, à une inclinaison, un signe ou un hochement de tête voir à un simple dodelinement mais il peut également être employé pour se référer à une fleur et, dans ce cas, signifier « se balancer », « danser ». Le verbe « to toss » signifie « lancer », « jeter ». Lorsqu’il s’applique à la tête, il peut vouloir dire « rejeter en arrière » mais, là encore, il peut aussi s’appliquer à un arbre et signifier « se balancer ». Selon si l’on se focalise sur les têtes ou les fleurs, les verbes peuvent offrir des champs de sens différents. Étant donné la précision faite par Mrs. Gaskell des fleurs ornant les têtes des jeunes filles, on peut tout à fait croire ici que l’emploi de ces verbes a la vocation d’ouvrir un champ poétique sur ce simple mouvement de tête. On peut le croire d’autant plus qu’il s’agit là d’une vision qui charme notre narrateur et le pousse à engager la conversation. Songeons également que plus loin dans le texte, notre narrateur désigne l’une des jeunes filles par le substantif « nymphe » qui, rappelons-le, évoque insensiblement les divinités féminines de l'Antiquité gréco-romaine, personnifications des divers aspects de la nature et, le plus souvent, représentées sous les traits de jeunes filles.

Malgré ces éléments, comme nous l’avions précédemment énoncé, nous nous sommes concentrés sur le fait de rendre le sens général afin d’éviter d’ajouter des longueurs par le développement que nécessiterait le français. La langue cible ne possède, en effet, aucun terme capable de suggérer cette polysémie. D’autre part, on constate par la suite que ce symbole de la fleur est employé par le narrateur lorsque, s’adressant aux jeunes filles, il dit : « And what breeze is stirring the flowers? »19. Ce sens poétique n’est donc pas totalement perdu. De ce fait, on a donc mis de côté cet aspect pour rendre le mouvement de tête qui nous a paru plus important. En effet, la coordination des deux termes, « nodding and tossing », proposent une sorte de chao dans le mouvement. Les gestes proposés par les verbes anglais renforcent cette idée et viennent s’allier à l’agitation confuse que suggère l’énumération qui termine le passage. D’autre part, plutôt que de traduire la forme qui possède un effet de structure, on a préféré traduire le fond, c’est-à-dire cette agitation confuse perçue par le narrateur lorsqu’il regarde ces jeunes filles en pleine discussion.

Un dernier exemple significatif peut être distingué au quatrième paragraphe :
To cram themselves into an apartment designed to afford comfortable sitting room and breathing space for about a third of that number
Que l’on a décidé de traduire par :
À s’entasser dans une pièce destinée à offrir de place assez confortable pour s’asseoir et souffler à environ un tiers de ce nombre
Le problème de traduction se situe dans le fait qu’il est difficile de rendre la figure de style employé par Mrs. Gaskell à cause des différences qui existent entre les langues. En effet, une syllepse est utilisée par notre auteure car l’expression « breathing space » est employée à la fois au sens propre, une place assez grande pour respirer, et au sens figuré, un moment de répit. Dans le contexte où est plongé notre narrateur, on comprend que celui-ci regrette le peu d’espace dû à la taille des demeures et au trop grand nombre d’invités mais qu’il aimerait également qu’il y est un endroit où il puisse avoir un moment de repos, de répit.

On peut voir que notre traduction perd la syllepse contenue dans l’expression « breathing space ». On a, en effet, tenter de garder le sens figuré de l’expression en employant le verbe « souffler ». Celui-ci appelle l’idée originelle de « breathing » tout en évoquant l’expression française « reprendre son souffle » qui peut suggérer cette idée de repos. Si on a fait ce choix, c’est parce que le sens premier du terme, plus concret, était davantage présent et évident dans le contexte du passage. En effet, le narrateur insiste sur le peu d’espace en employant des verbes tels que « to cram » que l’on a traduit par « entasser ». D’autre part, au niveau de nos choix de traduction, on a également pris le parti de réunir dans le terme français de « place », les substantifs anglais « room » et « space » afin de coordonner les verbes « s’asseoir » et « respirer ».

Ainsi, au terme de cette dernière partie, on observe que si la langue pose un premier niveau de problèmes à cause des incompatibilités qui la différencie d’une autre langue, le style vient complexifier le tableau en s’ajoutant comme un second niveau de difficulté. En effet, étant la manipulation du langage par l’auteur, le style est ce qui est le plus malmené par le passage d’une langue à l’autre. On a fait notre possible pour rendre la forme mais on a tout de même préféré privilégier l’esprit voir, dans certains cas, le sens premier au détriment du jeu fait par l’auteure sur le second sens.


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1 Antoine Berman, L’épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1984, p. 247.
2 Ibidem., p. 246-247.
3 Umberto Eco, Dire presque la même chose, Paris, Grasset, 2007, p. 18.
4 Mathieu Guidère, Introduction à la traductologie, De Boeck, coll. « traducto », 2008, p. 51.
5 On proposera une traduction sommaire du poème de Georges Wither.
6 George Ellis, Specimens of the Early English Poets, Edwards, 1790, p. 98.
7 COLLECTIF, The Shorter Oxford English Dictionnary On Historical Principles, Londres, Oxford University Press, 3e édition révisée et éditée par C. T. Onions, 1972, 2 volumes.
8 Antoine Berman, L’épreuve de l’étranger, Paris, Gallimard, 1984, p. 246-247.
9 Elizabeth Gaskell, Nord et Sud, (North and South) traduction et préface de F. Du Sorbier, Paris, Fayard, 2005, p. 260.
10 « La statue de Mr. Canning ».
11 COLLECTIF, Le Robert & Collins : le dictionnaire de référence, Malesherbes, HarpperCollins Publisher et Dictionnaires Le Robert-Sejer, 2006, 8e édition.
12 Philippe Merlet (sous la direction de), Le Petit Larousse illustré, Paris, Larousse, 2003.
13 COLLECTIF, The Shorter Oxford English Dictionnary On Historical Principles, Londres, Oxford University Press, 3e édition révisée et éditée par C. T. Onions, 1972, 2 volumes.
14 On peut traduire ainsi : « Il y a quatre-vingt sept ans […] ».
15 Claude et Jean Demanuelli, Lire et traduire : anglais-français, Paris, Masson, 1990.
16 Michel Ballard, Le commentaire de traduction anglaise, Paris, Armand Collin, 2007, p. 15.
17 Ibidem, p. 14.
18 Michel Ballard, De Cicéron à Benjamin, Lille, Presse Universitaire de Lille, 1992, p. 40.
19 « Et quelle brise fait ici vibrer les fleurs ? ».